samedi 19 février 2011

Le sujet



Quel bonheur de vous retrouver !
Je ne veux pas me trouver d’excuse, en ai-je d’ailleurs, mais sachez que ce silence épistolaire n’est pas volontaire.
Chaque nuit, depuis mon dernier article, des mots tournent dans ma tête, des lignes, des histoires, et croyez moi mes nuits sont longues, ça représente pas mal de manèges.

Chaque matin, je crois tenir un sujet, et la journée se passe sans que je n’écrive.

Les articles précédents sont nés si facilement, ils ont coulé sans difficulté.
Un est venu rue des Boulangers, un soir tard en rentrant de garde, un autre au milieu d’une insomnie, « le comparatif livreurs » avec des cartons, « la sécu m’a tuer » avec un relevé, quand à « la boule » et ses copines du même thème, mon quotidien et mes souvenirs sont chargés d’inspiration.

Je ne vous mens jamais, vous connaissez ma règle, je vais donc continuer à être honnête.

Ceux qui me lisent, et qui m’aiment bien, me disent ou m’écrivent leur intérêt pour mes articles. Les autres ont la bonté de se taire, ou ne lisent pas ce qui est plus probable parce qu’il existe même dans les Facebook les mieux organisés de faux amis.
Quand au blog, il faudrait vraiment me détester pour aller y déposer des commentaires odieux, à croire que personne ne me déteste, qui aurait pu croire ça ?

Je pensais que ce serait ça le plus agréable, être appréciée pour un enchainement de mots, une histoire, un angle de vue, un trait de caractère.

Auparavant, lorsque je n’avais pas opéré ce lâcher prise, lorsque je n’osais afficher mes lignes, je croyais rechercher ça : l’approbation.

Vous seriez déçus, je l’espère presque, de ne pas trouver d’aparté….

Le lâcher prise, les pervers narcissiques, toutes ces formules sibyllines, brandies comme des évidences d’initiés lors que ce ne sont que des poncifs d’amateurs. Combien de fois ai-je entendu cette phrase, prononcée d’un air docte, accompagnée d’un ton supérieur, tu devrais lâcher prise….  
Moi qui suis cramponnée à la vie de toutes mes forces, avec mes petits bras musclés (et mes ravissantes épaules source de ma vanité), avec rage, énergie, avec fatigue il est vrai parfois, le lâcher prise est un concept qui m’effraye un peu. J’y vois de suite une image de chute, vertigineuse, vers quoi, je l’ignore, mais une belle dégringolade. Il faut ne pas être bien haut, solidement accroché, certain d’atterrir sur un trampoline, ou avoir un parachute pour lâcher en toute sérénité. La prise, source d’énergie en principe, pourquoi la lâcher alors ?

Et les pervers narcissiques vous demandez vous ? C’est sans rapport, mais depuis quelques mois, ce sont de nouveaux individus, des mutants sans doute, qui surgissent au détour de conversations d’épouses mal mariées, de filles larguées, de bribes captées jusque dans mon train de banlieue. Le pervers narcissique résume à lui seul ce que je pense de la sentence facile de tant de psychologues de comptoir ou d’escalier, en moins amusant que les ivrognes des dits comptoirs et moins utiles que les concierges des escaliers cirés.
Fin de l’aparté.


Une approbation, donc, est ce cela que je cherchais ? Un échange, votre regard, votre avis ?

Alors oui, bien sur, je suis touchée par le fait de vous faire sourire, réfléchir.
Oui, bien sur il est agréable de savoir que vous êtes quelques uns à attendre, ou à prétendre le faire, mon prochain sujet. Plus encore il est délicieux de se demander avec quoi je vais pouvoir tenter de vous surprendre, de vous divertir, avec quel contrepied, quelle situation, quel trait.
Oui, évidemment, je m’amuse à apprendre ce qui a plu et à qui, ce qui a marqué et pourquoi.
Il est toujours intéressant de lire ou d’entendre vos réactions. Elles sont surprenantes parfois sur un même sujet, elle renvoie à des personnalités, à une façon de voir la vie, la maladie, c’est passionnant.

Mais… Mais pour être honnête, le plus agréable dans tout ça, ce que je n’avais pas prévu, pas imaginé, le plus magique en fait c’est que le vrai bonheur réside dans l’écriture même.

Je suis consciente de ne pas être un écrivain, un vrai, à la hauteur de ceux que j’admire et même à la hauteur de ceux qui sont seulement publiés, sans que je ne les apprécie.
J’écris de simples billets d’humeurs, avec lucidité, mais j’écris, au sens littéral du terme.

J’ai tant lu, et puisé tant de joies, d’enseignements, de bonheurs, de ravissements dans les livres. Je voyais l’écriture, la vraie, pas la mienne, celle de Maupassant, de Jonathan Coe, de tant, comme une offrande qui m’était faite, un cadeau, le don d’heures harassantes passées à un bureau.
Je croyais qu’Irving avait sué pour moi, que Laurent Gaudé s’était torturé pour me terminer un paragraphe, alors qu’en fait, tout simplement, Irving, Coe, Gaudé, Maupassant et moi partageons peut être le seul plaisir d’écrire.
Ils sont peut être comme moi, égoïstes !



C’est un bonheur de retrouver l’écriture, de la voir revenir, même si il manque l’essentiel à cet article : un sujet…..
Je n’ai donc pas de sujet à cet article qui ne sert à rien qu’à vous exprimer mon plaisir, j’espère que vous avez, vous aussi dans votre vie, un truc qui vous rend aussi heureux que ça, et si ça n’est pas encore le cas…. lâchez prise…..



lundi 7 février 2011

Lola et les idées reçues


De façon consciente ou pas, certaines images s’associent à des situations. Nous faisons tous ça, ce n’est souvent pas très important.
C’est parfois relayé et renforcé par ce que nous en voyons au cinéma, ce que nous en lisons en presse ou en littérature, ce que nous entendons dans certaines chansons.
Un catalogue des idées reçues, anodin, auquel nous réfléchissons bien peu, à la hauteur de son importance en fait.
Dans une des pages de ce catalogue, chapitre maladie, rubrique traitements, sous paragraphe chimiothérapie, il y a cette image de chauve qui vomit au dessus d’une cuvette des toilettes.
Si, ne le niez pas, l’image c’est ça.
J’avais cette vision.
Dans mon métier, rien ne m’effraye, le sang, les urgences, les interventions catastrophes, les réanimations vacillantes, ni ce qui peut sortir d’un corps humain. Sauf…. Sauf, les vomissements.
Celles qui travaillent avec moi savent comme je peux courir très vite dans une direction opposée lorsqu’une patiente me dit, les joues gonflées, les yeux exorbités, la main retenant les restes de son dernier repas, copieux, inévitablement « cheux fais vomir ».
Mes enfants ont eu la délicatesse de ne pas vomir trop souvent, délicatesse née de quelques réactions excessives face à leurs jets gastriques qui ont pu les faire douter de l’amour de leur petite maman chérie, à juste titre.
Plus que l’annonce d’une calvitie inévitable, à l’annonce de mes premiers traitements, c’est cette histoire de vomis qui me contraria.
Soyez rassurés, continuez à me lire, je n’ai jamais vomi.

Mais chauve, je le fus…

Puisque j’ai décidé de partager avec vous certaines expériences, alors qu’évidemment vous ne m’avez rien demandé, je vais vous raconter des histoires de cheveux, mes histoires.
Car chauve, je le fus deux fois et je le suis en ce moment. Il faut me reconnaître cette légitimité.
Les deux premières fois, j’avais anticipé.
Imaginant qu’il serait moyennement agréable de me réveiller sur un oreiller velu, de boire un café au lait aux cheveux, je les ai rasés.
L’exacte vérité : j’ai demandé à être rasée.
Et là, il me faut remercier l’équipe de France de football gagnante en 1998. Surtout Barthez, le gardien de but chauve qui a décomplexé des générations de garçons au front dégarni, dopé les ventes de tondeuses et équipé quelques uns de mes amis.
Ainsi, par deux fois, j’ai pu appeler à l’aide.

Certaines scènes de ma vie me semblent cinématographiques, c’est ce qui les rend supportables.
Assise, face au miroir, avec un ami équipé de sa tondeuse, il faut respirer un grand coup, fermer les yeux quelques secondes, comme une actrice avant une prise, puis lever la main, afficher un joli sourire et dire : c’est bon, on y va !
Ma réplique, de circonstance, ne fut pas très fine, mais elle nous fit rire alors que les cheveux tombaient en plaques et dévoilaient la forme de mon crane, parfaite au passage mais j’y reviendrai.
Ma réplique : « j’ai bien couché avec un allemand mais c’était il y a longtemps et hors occupation » nous a fait rire donc.
Ma première calvitie, un apprentissage, je pensais que ce serait la seule, je pris le tout comme un passage, une aventure.
J’en profitais pour agrandir mon dressing d’un nouveau rayon, le rayon foulards et entrepris avec succès de les coordonner à mes tenues.
Coquetterie quand tu me sauves.

Il y eut des moments très amusants, pour moi surtout, lorsque je réalisais que la personne en face ne réalisait pas l’usage des dits foulards.
Un médecin du travail notamment, qui manquait à ma collection de blouses blanches.
Il eut beaucoup de difficultés à faire le lien entre les molécules que j’annonçais prendre et les foulards. J’ai peu d’estime pour ces médecins, ayant pu juger leur ignorance en nombre de domaines. En vraie chieuse, à la question prenez vous des médicaments, je me suis donc amusée à citer les molécules mais pas leur indication et ne le voyant pas ciller en notant le nom que j’épelais, j’ai dévoilé mon crane parfait.
Gloups du médecin.

J’ai traumatisé un gros lourd dragueur mais du genre un peu dangereux tout de même qui nous accosta alors que je marchais avec une amie dans un quartier peu recommandable, en une fin de soirée d’été.
Si l’amie en question n’avait pas eu des jambes d’1m20 juchées sur des talons, il est raisonnable de penser que ma seule robe n’aurait pas suffit à arrêter son regard.
Nous peinions à nous débarrasser du lourd, qui commençait à faire des signes à son groupe, en nous demandant si mieux qu’un verre nous voulions de la drogue. Non, non dit mon amie, nous ne nous droguons pas, si, si dis je. Elle comprit en un quart de seconde ce que j’allais faire. Je ne fume pas d’herbe, je ne prends pas d’héro, moi c’est chimio lui dis je en découvrant mon joli crane.
Gloups du gros lourd, et demi tour avec un « faites attention à vous hein ! ».

Il n’y a pas de petit plaisir.

Il y a un réel bonheur à laisser l’eau couler sur une tête lisse, et un vrai gain de temps à ne plus se coiffer le matin.
Je réalisais les sommes indécentes engagées dans l‘industrie capillaire, à m’agacer devant des boucles hydratées, des épis domptés, des chignons figés, des carrés teintés, des dégradés méchés.

Ma deuxième calvitie.
Pas encore la routine, mais pas loin.
Cette seconde fois, j’avais décidé de profiter différemment d’un nouveau look.
Perruque.
Les autres malades, les femmes, ont presque toutes la même perruque. Une coupe courte, une couleur fadasse, un truc qui tourne un peu, c’est moche.
Dans la boutique de perruques, je l’ai essayée, ai pris 20 ans dans le miroir et cru reconnaitre ma tante Vivianne, si vous aviez….
Alors j’ai choisi ce que je n’aurai jamais. La coupe rêvée, glamour au possible, tout sauf discrète.
C’est ainsi qu’est entrée dans ma vie celle que j’ai surnommée Lola.
Une coupe de danseuse du Crazy.
Lola, donc.
Lola est exigeante, elle ne se satisfait pas d’un jean et d’un tee shirt. Il faut assumer ce genre de choix.
Lola, rouge à lèvres, jupes, talons, et attitude coordonnée.
C’était un déguisement mais à tenter si fort de paraître, je finis pas être, un peu.
Lorsque je posais Lola, je me transformais…


Parfois Lola a piqué ma jalousie. Nombre de commentaires flatteurs, me semblaient liés à une imposture. Certes cette frange nette, ce carré strict convenaient à mon visage, mais c’était un déguisement, rien d’autre.
Parfois Lola a pimenté mon quotidien, envolées les habitudes polies, le bonjour à la voisine, personne ne me reconnaissait !
Impossible d’être essoufflée, fatiguée, Lola n’attirait pas la compassion.
Parfois elle m’a occasionné quelques frayeurs, peur de la perdre au fil du vent, peur de la voir rester dans les mains d’une patiente agrippant tout ce qui est à sa portée pour supporter les contractions (il y en a, j’en ai conservé des hématomes sur la fesse droite pendant quelques semaines, il y a des années).
Parfois Lola m’a fait mentir.
Un chauffeur de taxi qui m’emmenait vers ma chimio matinale, très matinale, s’enquerrait de mon métier, celui qui me faisait me rendre si tôt dans une clinique. Son regard à voir Lola, sa robe moulante, ses talons, son rouge carmin et son parfum ambré, l’enthousiasme qu’il avait mis à entamer la conversation, je ne pouvais pas lui dire la vérité. Alors j’ai dit que j’étais chirurgienne cardiaque, que j’allais sauver un cœur, ho bien sur ça semble impressionnant, mais c’est mon quotidien vous savez. Il était ravi. Ensoleiller la vie d’un chauffeur de taxi en lui faisant croire qu’il existe des femmes sexy et au métier si prestigieux est gratifiant….

Lola donc, à qui j’ai dit au revoir, je me méfie des adieux, un jour de printemps pour sortir exposer mes nouveaux cheveux et souffrir un peu moins de la chaleur.

Précision importante sur une légende : non, les cheveux ne repoussent pas plus forts, plus jolis et bouclés. Les miens ont repoussé à l’identique, mais j’ai cessé de me plaindre de leur finesse, de leur raideur, de leur blancheur, je les aime. Pour de vrai, tels qu’ils sont, quand ils sont là.

Deux changements de look en deux ans, je pensais en avoir terminé des : mais si c’est moi, oui j’ai changé de coupe, etc etc…

Troisième calvitie. J’ignore d’où vient cette expression « jamais deux sans trois »…..

Sottement je n’avais pas anticipé cette étape. Les avis des blouses blanches étant contraires, il semblait y avoir une chance pour que cette coupe de garçonne résiste, j’avais décidé d’y croire. Je me disais que j’aurai de la chance, que j’échapperai à cette fatalité, puisqu’il y avait une chance ce serait la mienne.
Erreur, je ne peux avoir tout le temps de la chance, ce serait indécent.
J’ai expérimenté l’oreiller velu et tout le reste.
Dans l’image de chauve sous chimio que nous avons tous, il faut préciser une étape, le passage.
Dans les moments de solitude, il y a ces longues minutes, formant des heures, pendant lesquelles il faut s’éplucher, enlever ces cheveux qui ne tiennent plus, au risque de les semer un peu partout sur son chemin. Passage délicat, mais effectué.
Qui mieux que moi pour savoir que ça repousse a déclaré un de mes fils, pas faux, j’attends la repousse donc.

Mon crane parfait, je vous avais dit que j’y reviendrai. La bucheronne aux mains de maçons m’avait balancé un « vous avez une très jolie tête à chimio », me faisant croire que le casting était bien fait, que mon visage pouvait supporter l’absence de cheveux.
En effet, je suis très fière de la forme de mon crane, ainsi que d’un grain de beauté en occipito pariétal, dont j’ignorais l’existence.


Nous avons tous un catalogue d’idées reçues…..
La brune est piquante, la blonde diaphane, la rousse volcanique, mais la chauve ?
La chauve est frimeuse, provocatrice, jolie d’une certaine manière, économe en shampoing, accessoirisée, intrigante, mais jamais courbée au dessus des toilettes. La chauve a son quand à soi…

mercredi 2 février 2011

Une commande




Cet article est une commande.
Aucun d’entre vous n’a relevé ma proposition d’écrivain public, forte de mes expériences avec la sécurité sociale.

J’en déduis qu’aucun de mes amis n’a de tracas administratifs, parce qu’il m’est douloureux de supposer que vous doutez de mes compétences…


En revanche, il semblerait que je sois beaucoup plus crédible dans le rôle de la râleuse, la peste. Allez comprendre.
Alors tels ces écrivains à la solde du roi, ou ces pigistes pour la presse locale du Calvados, mais à l’encontre des principes du Cyrano de Rostand qui refuse de se soumettre aux puissants, alors qu’il écrit les lettres de Christian, c’est un autre débat, alors donc, je vais écrire cette commande.

En réalité, c’est au détour d’une conversation, durant laquelle je pestais, qu’un ami m’a dit « tiens, je verrais bien un article là-dessus ».
Avouez que c’est moins vendeur, moins flatteur, moins touchy comme dit la niche du marketing.
Je préfère donc vous dire qu’il s’agit d’une commande, sait on jamais, un jour vous pourriez avoir besoin de moi pour une déclaration d’amour, une lettre au Père Noël, un mécontentement envers Darty, sachez que je suis disponible, motivée et gratuite.

Ma commande :
Vous savez qu’il ne faut pas me pousser beaucoup pour que je m’insurge, à juste titre ou sans raison, insurgeons nous alors !

Dans notre vie quotidienne, nous sommes souvent les victimes de prédateurs implacables qui agissent en toute impunité.
Rien ne nous en protège, aucune association ne nous défend, personne ne les dénonce !

Des souffrances ignorées, des pertes de temps méprisées, des traumatismes non pris en charge, du stress, des pathologies non reconnues comme invalidantes, il faut que cela cesse, vous serez de mon avis n’est ce pas ?

Mettons un terme à la dictature des petits chefs !

Précision importante sur le petit chef. Il n’est pas votre chef, vous ne travaillez pas avec ou pour lui. Celui là méritera un article entier, dédié.
Il s’agit simplement d’une personne qui a, à un moment donné, un pouvoir sur vous.

Pouvoir qui lui donne l’importance qui manque au reste de sa journée, pouvoir qui vient en général compenser des complexes sociaux, une petite vie, un physique banal, ou tout simplement sa mauvaise humeur.
Le pouvoir, de nuisance, détenu par une personne que nous croisons pour une raison quelconque.
Cette personne qui peut selon sa volonté simplifier votre vie, ou venir la compliquer.
Pour quelle raison obscure ce pouvoir est il toujours maléfique ? A quoi ressemble la vie de ces gens pour que systématiquement ils viennent pourrir la nôtre ?


Quelques exemples qui vous aideront à comprendre.

Le guichet de la banque.

L’employé du guichet de la banque, avec son costume bleu marine en Tergal, sa chemise qui s’auréole au long de la journée, l’after shave qui lui donne des boutons sur les joues et sa cravate de fête des pères qui est restée tâchée de son mauvais déjeuner parce qu’avec les tickets restau faut pas espérer mieux.
Bref vous le voyez ? Il a bien sur son équivalent féminin, je ne décris pas, on tient le personnage, non ?
L’employé à qui vous demandez comme un service, alors que c’est son travail, au choix, une commande de chéquier, un retrait d’espèces ou votre nouvelle carte bleue qui est juste là, dans le tiroir derrière lui, à portée de main, la sienne hélas.

Celui qui vous répond après avoir tapé le numéro de votre compte, avec un petit rictus méprisant, « han non, ça va pas être possible… ».
Avec évidemment, dans la file derrière vous, une grand-mère aux comptes remplis, votre coiffeur avec sa remise de chèques et la mauvaise langue du quartier (l’autre, après moi).
Doucement, avec un sourire charmeur, vous tentez un « ha bon ? Pourquoi ? ».
Il répond, que cela a un rapport avec une histoire de découvert.

Pour ceux qui l’ignorent, je souhaite qu’il y en ait, le découvert est un principe mensuel, plus ou moins précoce, qui vient compliquer un peu le quotidien.

Sans se fâcher, pas encore, alors que le coiffeur, la vieille et la langue de vipère s’impatientent, vous demandez à ce que soit prévenu le chargé de clientèle, qui sait, lui, que le salaire est toujours viré le 28. 28 qui se trouve être le lendemain, un dimanche, alors que la banque ne rouvrira que le mardi suivant.
Le fourbe qui a réalisé son pouvoir, rétorque : « pas possible, il est en rendez vous ».
Voilà, le pouvoir du petit, et sa vengeance.
Un jour, je le choperai par la cravate sale et lui dirai que je me fais au moins deux fois sa paye pour faire des accouchements et que si jamais je le croise en garde avec sa grosse, moi aussi j’userais de mon pouvoir pour que plus jamais il n’ait de relations sexuelles satisfaisantes. (si si j’ai des idées là-dessus piquées à un gynécologue très compétent en la matière).

Mais je ne le fais pas. Ben non. Je fais un sourire, un petit demi tour avec révérence et je me prépare à passer trois jours en priant pour ne pas avoir de dépenses imprévues.


L’administratif.
Prenons pour exemple un facteur.

Vous rentrez chez vous, croisez le facteur dans les étages et trouvez un avis de passage de courrier en recommandé.
Comme moi, vous pensez naïvement que récupérer le dit papier, et le facteur au deuxième étage, va vous éviter deux jours d’angoisse à vous demander quelle mauvaise nouvelle vous attend. Parce qu’on est d’accord, jamais une bonne nouvelle ne nous parvient en recommandé.
Rattrapage du facteur donc.
Ha mais non, trop tard dit le facteur dans son uniforme du même Tergal que l’autre plus haut (serait ce le Tergal qui les rend teigneux ?), trop tard, faut passer au guichet, j’ai rempli le formulaire.
Comme avec la carte bleue, il est là le courrier, dans sa besace, vous parvenez presque à voir votre nom, mais non, la procédure est formelle. En cas d’absence, il lui faut remplir le document, le déposer au bureau de poste, et à vous d’attendre le lendemain et  les vingt minutes de moyenne de file d’attente, pour apprendre votre mauvaise nouvelle.
Pourquoi ? Pourquoi le facteur fait ça ?
C’est quoi sa vie ?
J’ai eu envie de lui faire un croche pied, le faire rouler bouler dans mon escalier, lui piquer sa sacoche (et en profiter pour lire le courrier des voisins), bomber en rose fluo sa casquette jaune et bleue, en lui hurlant dessus.
Mais non, je ne l’ai pas fait, j’ai répondu poliment que je ferai tout bien comme c’est marqué sur le récépissé.

Mais hier, j’ai reçu un recommandé, j’ai ouvert la porte sans foulard, sans perruque, toute jolie avec mon crâne chauve. J’ai fait un beau sourire et lui un beau regard de .. de… de veau je crois, de veau oui, sans vouloir insulter les veaux.
J’ai eu ma revanche.



Le petit chef qui surgit.

Alors lui, je dois avouer que c’est mon préféré. Les deux autres, quelque part on va les chercher. La confrontation a un sens, on se rend à la banque ou on commet une grosse faute qui nous vaut un recommandé.
Celui là, non.
Vous pensez passer une journée ordinaire, avec les cons habituels, les petits chefs, les nuisibles étiquetés, et toutes nos techniques d’évitement pour y échapper.
J’ai un exemple facile mais je suis convaincue que vous en aurez un aussi.
Un carrefour, un matin de circulation chargée, des rues dans tous les sens qui convergent sur la même place. Des feux à chaque coin. Vous vous appliquez à avancer doucement, au rythme non pas des feux, mais du désengorgement de la place.
Et là, il y a toujours un conducteur qui passe à son feu vert, parce que vert j’avance, tout en sachant qu’alors il va se trouver en plein milieu de la dite place et bloquer tout net ceux qui pouvaient passer.
Il est là comme un idiot en perpendiculaire de la file qui peut avancer, il prend une contenance, il est certain de son bon droit, et vous le regardez faire alors que vous pourriez avoir dépassé la dite place depuis de longues minutes si seulement il avait eu deux sous de bon vouloir. Pourquoi il fait ça ? Pourquoi décider sciemment d’emmerder toute une file de voitures ? C’est quoi son problème, sa vie, ses rancœurs ?


Alors je vous propose un contre-pouvoir. Organisons nous. Nous détenons tous un pouvoir, faisons en sorte qu’il soit positif.
J’attends donc vos commentaires, racontez moi comment vous avez abusé d’une situation pour la simplifier, et non l’inverse. Parce que nous tous sommes épanouis, heureux, emplis d’amour pour notre prochain, et surtout nous avons envie d’un monde meilleur…
Mon exemple, je promets, au supermarché, la prochaine fois que j’aurai rempli un caddy et qu’il y aura derrière moi quelqu’un avec un article, ou deux ou trois, mais pas plus, alors je proposerai ma place dans le trafic.
Si c’est une personne âgée, donc libre toute la journée qui vient faire ses courses aux heures de pointe, s’il s’agit d’un type aviné, à l’odeur, qui veut aggraver son cas avec des cannettes format géant, d’une mère de famille bobo avec son sachet de Tofu et ses mômes intenables, et même si c’est la blonde qui n’a pas pesé ses deux tomates (faut il être sotte pour acheter des tomates en février !),  qui que ce soit :
Je ferai un joli sourire et dirai : « allez y, j’ai tout mon temps ».
Alors et vous ?



mardi 1 février 2011

Les maux des mots, ou l'inverse....



Ce qui change, ce qui prend du sens….


A ce stade de l’histoire, l’intrigue est précise, les personnages ancrés, vous devez percevoir le sens du récit, même si tout comme moi, vous ignorez totalement où il va nous mener.


Je refusais d’emblée, l’idée de tout changement, je ne voulais pas sortir changée de tout ça, je voulais juste en sortir, intacte si possible. Prétentieuse, comme toujours.
Cette phrase si souvent entendue « tu verras, après tout te semblera différent », je ne voulais que l’après, je ne voulais pas que cet envahisseur me soit profitable. Et puis quoi encore ?

Cependant, très rapidement, certains mots se firent précis le changement était en route…..

Le nouveau sens des mots.

Le mot ami, amie ou amis.

Encore mieux qu’un test Cosmo qui dirait «avez-vous bien choisi vos amis ? ».
Je vous assure qu’il n’y a pas mieux que la phrase, j’ai un cancer, pour rapidement évaluer l’attachement de vos amis. Essayez si vous doutez d’un ami, essayez, la phrase, pas le cancer, inutile d’aller si loin, vous verrez.
Je fus très rapidement fière. Je savais choisir mes amis.
Mais je ne pense pas qu’en la matière il s’agisse de choix, comme à l’école lorsqu’on demande si tu veux bien être ma copine. Dans la vie des grands, ça ne se passe pas ainsi, imaginez si on allait voir un ou une inconnue, en lui demandant si il veut bien être notre ami ? Ce serait ridicule n’est ce pas ?

Mes amis, c’est un peu l’inverse de mon placard à chaussures. J’en ai peu, mais de belle qualité.
Parce que les chaussures, j’en veux plein, de différentes couleurs, de saisons, à la mode et je n’ai pas les moyens d’en avoir de qualité… mais les amis….
L’amitié c’est avant tout une histoire de sentiments, une histoire d’amour,  même si cette phrase est teintée de la mièvrerie qui est si loin de moi.
Je reste donc très fière de ne pas avoir raté mes histoires d’amours amis, fière de ne pas m’être trompée dans mes choix, fière de la qualité de ceux qui tiennent à moi.
Et en plus j’ai réussi à m’en faire d’autres malgré le cancer, petite danse de frimeuse, il y avait longtemps que je ne vous l’avais pas faite.
Amis, mot validé.


La peur.
Jusqu’alors, j’avais de nombreuses peurs, des angoisses, des phobies. Je n’aimais pas l’avouer mais j’étais un peu trouillarde. En vrac, le vertige,  les araignées, le manque, de temps, d’argent, l’échec, professionnel, amoureux, éducatif, toutes sortes de peur.
C’est un des mots qui a le mieux pris son sens. La peur, l’effroi, la terreur, la panique.
Inutile de m’étendre sur ce sujet, la peur s’est affalée sur moi, m’a pris mes nuits, mes rires, mes mots.
J’ai appris à vivre avec elle, je commence même à lui trouver des avantages. 
Avec La Peur, se sont évanouies toutes les petites frousses, celles qui parasitent inutilement. Grâce à elle, dès qu’une angoisse surgit, je me dis que j’ai La Peur, que peut-il y avoir de pire ?  C’est pratique, ça allège, je suis une veinarde, je ne cesserai de vous le répéter.
Précision, ma technique n’est pas très au point avec les araignées, j’ai beau brailler « j’ai un cancer saleté » aux rares mygales qui croisent mon chemin, j’ai un peu peur quand même.
Peur, mot validé.


La force et le courage.
Ces deux là je les mets ensemble, il semblerait que l’un avec l’autre se soit plus pratique.
Force, je pensais connaître. Depuis toujours j’ai entendu dire que j’étais forte. Attention pas comme on dit : c’est une fille forte pour hypocritement dire : elle est grosse, non forte comme pas facile de caractère et pas besoin de s’occuper d’elle ça se voit qu’elle n’est pas fragile.
L’aparté qui manquait jusqu’ici.
Un jour j’écrirai sur les filles fragiles, sur ce mystère des filles fragiles, ce sera un peu cynique, peut être dicté par une jalousie teintée de mépris, mais gentiment, parce qu’elles sont très agaçantes mais pas méchantes, manquerait plus que ça.
Forte donc.
J’ai appris ce qu’est la force. Pour une fille, certes tonique dans la vie quotidienne, mais qui déteste le sport, je suis super forte. Physiquement, et cela n’a rien à voir avec mon caractère comme « on » m’a dit.
Je n’aime pas le sport, ça sent mauvais, c’est fatigant, je n’ai jamais eu besoin de maigrir (à nouveau la petite danse de frimeuse), courir après rien m’essouffle, et mes restes de danseuse me suffisaient.
Mais ce que j’ai fait, avec le cancer, physiquement, me place sur un podium, d’office. Pas besoin de vous expliquer, croyez moi sur parole, je suis une championne.

Le courage, en revanche, je l’avais découvert en littérature, dans quelques biographies, mais je ne l’avais pas expérimenté. Ce que certains, à entendre le récit de ma vie commentaient comme étant du courage n’était qu’une forme d’insouciance immature qui m’avait fait prendre des décisions, des chemins sans en mesurer les contours, en me disant simplement pourquoi pas ?

Il y a encore quelques semaines, je me mettais très en colère à entendre dire que j’étais courageuse et forte. Maintenant un peu moins.
Je reste convaincue que je ne suis qu’une lâche qui s’accommode comme elle peut de ce qui lui arrive, je n’ai pas d’autre choix, je suis une faible contrariée, une couarde déguisée.
Milan Kundera a dit qu’être courageux dans l'isolement, sans témoins, sans l'assentiment des autres, face à face avec soi-même, cela requiert une grande fierté et beaucoup de force. Disons que j’ai ma fierté.
 Force et courage, validés.

Solitude.
Encore un que je croyais maîtriser. Un qui ne m’a jamais effrayée, je suis parfois misanthrope, souvent exigeante, je préfère personne à quelqu’un qui vient combler un vide Ce principe, je suis une fille à principes, s’applique aux amours, amitiés, relations, occupations. Etre seule ne m’a jamais dérangée.
Je demande par avance à mes amis, à ceux qui m’aiment de me pardonner, qu’ils comprennent bien ce que j’écris, la solitude, la vraie, je la connais maintenant. Le face à face avec soi même dont parle Milan, la solitude c’est ça.
Solitude, validé.


Vanité.
Un grand mot pour la petite vanité qui était mienne.
Les filles vont me comprendre et les garçons en apprendre peut être. Nous les filles, avons toutes un truc dont nous sommes fières. Quelque chose dans notre physique qui nous plait au moins un peu. Le truc que l’on met en valeur.
Moi, je l’avoue, alors que jamais on ne m’a fait un compliment dessus bien que je ne manquais jamais une occasion d’en dévoiler une, de rouler l’autre, bien que l’une comme l’autre soit parfaitement hydratées, satinées, je l’avoue, j’avais un faible pour mes épaules. Cela ne s’explique pas, ça s’avoue à peine, mais au point d’impudeur auquel je me trouve, vous n’avez plus de doute sur mon état mental, je suis un peu folle.
Aujourd’hui je suis très fière, je le répète fréquemment, je le clame haut et fort, je suis très fière de mes globules. Parce que une formulation sanguine aussi parfaite, après des mois de traitements, c’est tout simplement remarquable.
Mes épaules restent mignonnes mais mes globules sont oscarisables. Certes séduire avec ses globules est plus délicat, mais séduction est un mot qui a perdu un peu de sens.
Vanité, validé.


Colère a été validé et renforcé par rage de peste.
Maquillage, cosmétologie, robes, talons et colifichets ont été validés, ils manquaient dans mon tiroir futilité et plaisirs, ils sont indispensables à dignité.
Compassion a été écarté, pitié balayé, d’un revers d’épaule délicate.  
J’ai appris des verbes compliqués, demander, trembler, vaciller, maigrir, mais d’autres que je maitrisais, espérer, croire, vouloir m’ont aidée à les valider.

Je refusais l’idée de changement, en réalité je ne change pas. Je renforce ce que je suis, j’affine ce en quoi je crois, je précise les sens des mots.

La vie, a pris un autre sens, plus intense, je suis plus vivante.
C’est ironique, mais réel, ma vie est devenue plus vivante avec ses maux qui la caractérisent et ces mots qui la décrivent.

La vie, validé.


dimanche 30 janvier 2011

Les autres....


Dans les deux articles précédents, vous avez suivi mon entrée dans la grande famille du cancer et découvert quelques nouveaux personnages.
Les blouses blanches.
Je refusais l’idée que cette histoire m’apprenne des choses, sur moi, sur la vie, cette épreuve qui transcende, ce concept judéo chrétien bien ancré encore en nombre d’entre nous.
J’ai résisté, longtemps, j’ai fait « comme si », j’ai réussi, presque, jusqu’il y a peu, je vous raconterai.
Ce que j’ignorais c’est à quel point j’allais en apprendre sur les autres malades.
Voilà donc mes nouveaux personnages, les cancéreux.

Passer du côté des soignants au côté des souffrants, est extrêmement instructif. La blouse que l’on porte nous isole, quelque soit la compassion, l’implication que l’on mette à son exercice.


Les campagnes de certains organismes de lutte contre le cancer sont parfois très bien faites. Curie en a sorti une qui disait : « une personne sur deux au cours de sa vie sera atteinte par le cancer ».
Le casting est large… C’est une forme de socialisation, aléatoire, non décidée.
C’est ainsi que j’ai rencontré les autres….

Tout commence par la salle d’attente, attente de tout, je me suis déjà expliquée sur le sujet.

Je n’oublierai jamais cette dame, la cinquantaine épanouie (physiquement épanouie) qui est venue s’assoir à côté de moi lors de mon premier rendez vous avec l’oncologue.

Ha oui, l’aparté habituel.
On dit Oncologue, parce que ça fait moins peur que Cancérologue, comme on dit service d’orthogénie parce que ça fait moins sale qu’IVG.  Les mots ont un pouvoir. Il est possible que ça fasse plus professionnel également.
Au passage, je ne supporte plus d’entendre que tel ou telle célébrité est partie des suites d’une longue maladie…. Cancer c’est un gros mot ? Il donne des aphtes ?
Bref.

L’expérimentée…
La dame un peu grasse, me semblait particulièrement à l’aise, saluant les secrétaires, prenant ses aises, deux chaises, une pour son manteau bleu marine (Neuilly souvenez vous) et son sac Longchamp du même ton. Je feignais de l’ignorer mais elle ne cessait de déborder de son fauteuil.
Comme certains goujats au cinéma qui se croient autorisés à prendre les deux accoudoirs. Il devrait y avoir une loi définissant l’accoudoir qui nous est attribué, ou mieux encore, il devrait être possible d’acheter des tickets, accoudoir gauche, accoudoir droit.

Je commis l’erreur de lever le nez de mon Madame du Figaro, elle n’attendait que ce signe pour me lancer un : « c’est votre premier ? ».
C’est mon premier ? Je n’ai pu éviter de jeter un bref regard vers mon ventre, moulé dans ma petite robe rose vif, mon amure, pour vérifier que brusquement je n’avais pas été fécondée et que je ne m’étais pas trompée d’étages avec un obstétricien.
Tout en me disant que l’obstétricien devait être gynécologue et qu’elle venait traiter ses vapeurs de ménopause, à contempler son visage rouge.
Mon premier quoi ? Ben cancer dit elle !
Mon premier cancer, avouais-je comme une pucelle, une novice.
Ben moi c’est mon troisième ! Voilà qui est rassurant n’est ce pas ? Voilà qui est intelligent ! Merci la grosse de me faire réaliser que ça peut revenir… Qu’est ce qui passe dans la tête des gens ?
Elle m’a bien sur raconté par le détail ses trois cancers, sur deux seins, celui de sa fille aînée, pour le cas où j’aurais oublié que ça pouvait être héréditaire… Mais j’ai replongé vite fait dans le Madame du Figaro, c’était moins pire.


Le groupe….

Ce fut une des rares fois où j’ai cru faire demi-tour. Le groupe du service de chimio…
Imaginez une rotonde avec répartis autour des petites cases avec des fauteuils et des malades dedans (les fauteuils et donc les cases).
Là en poussant cette porte, malgré la robe rose ou le maquillage, malgré ma bravitude, malgré toutes les résolutions, j’ai pris de plein fouet mon cancer, et celui des autres dans la foulée.
Jaunes, cernés, avec des couvertures, des casques réfrigérés (je vous expliquerai) l'air triste, limite condamnés, et vieux. Les autres malades.
Dans cette clinique il n’y a pas de pédiatrie, je n’avais pas à croiser d’enfants malades, chauves, d’enfants cancéreux, alors je me suis trouvée lâche, et j’ai filé m’installer dans mon fauteuil.
Après ça passe faut juste oublier où on est.
J'ai imaginé un transat au bord d'une piscine, avec cocktail dans un verre plutôt que dans la perf (rouge au passage) les vacances avec mes fils chéris (qui m'avaient fait une lettre à lire pendant la perf que ça m'a fait piquer les yeux d'un coup).

Mais dans les groupes, il y a parfois des éléments différents…..

Un vieux Monsieur retraité, je m’assieds à côté de lui.
Rapidement, comme il semblait s’ennuyer autant que moi, et me trouver un peu différente, visuellement tout du moins,  il entamait la conversation.
Il est où le votre ? Renseignements rapides pris sur notre localisation pathologique, nous passâmes à des sujets plus intéressants.
Il est devenu mon copain de chimio.
Comme à l’école, il calait ses rendez vous sur les miens, et me disait, le premier arrivé garde la place à l’autre ? Lorsque j’arrivais, il me faisait de grands signes, avait étalé ses affaires sur le fauteuil voisin et me souriait si largement que j’avais l’impression de venir prendre un thé avec un ami.
Il est médecin anesthésiste à la retraite, j’en appris beaucoup sur les débuts de la péridurale,  féru de littérature, ce qui nous permis quelques échanges.
Il a ce côté délicatement suranné des vieux messieurs à la bonne éducation, de jolies manières, des expressions désuètes et un œil qui frise lorsqu’il ose un compliment en demie teinte pour dire qu’il me trouve jolie.
Il parle de son épouse en disant Madame son nom de famille, ses enfants à la réussite brillante, ses vacances en Corse dans les années soixante.
Jamais une plainte sur les traitements, jamais une crainte sur l’avenir, mon copain de chimio.


La frimeuse….

Celle là, je dois avouer qu’elle m’a bluffée. Je l’ai croisée dans un véhicule, on dit ça pour un taxi conventionné où s’entassent les patients, qui nous emmenait en radiothérapie.

Je sortais du travail, passais prendre ma dose de rayons, dans les embouteillages de fin de journée, après la demie heure d’attente réglementaire avant les deux minutes de traitement, afin de pouvoir rentrer chez moi, préparer le dîner, passer un peu de temps avec mes enfants et tenter de gérer un peu les tâches de la bonne ménagère que je voulais rester.
Une journée reposante.

Elle, soixante dix ans tassés,  se plaignait de tout. Elle avait mal dormi pendant sa sieste, son mari n’avait pas pensé à acheter ses yaourts préférés, ses cheveux ne repoussaient pas assez vite, elle voulait retrouver sa féminité, elle trouvait que quand même ça brulait un peu les rayons, et sa femme de ménage prenait des vacances.
A ce stade de la rencontre elle m’était déjà très sympathique.
Question habituelle venant de la dame : il est où le vôtre ? Je gardais mon calme et répondis au sein gauche.
« Pfffff » fit-elle, « comme tout le monde, moi le mien il est à droite, c’est beaucoup plus rare ! »
Que dire ? Je l’ai largement félicitée….

La « chouineuse »….
La larme à l’œil en permanence, qui découragerait un régiment de héros ordinaires.

La « mal fagotée »
Parce que lorsqu’on est malade il faut le montrer, donc survêtement, pantoufles et pull informe. Et grimaces devant mes talons, mes jupes et mon maquillage.

Le râleur…..
C’est toujours un retraité, qui n’a rien à faire d’autre de ses journées, qui râle parce qu’il attend dix minutes avant d’entrer en chimio, qui râle parce que l’infirmière ne vient pas le débrancher assez vite, qui râle donc.

Le presque chauve…..
Façon Giscard d’Estaing, avec une mèche qui traverse son crâne. C’est toujours celui là qui tient à sa mèche. Alors que moi j’ai admis perdre mes cheveux, refusé de m’y accrocher (mauvais idée ils partent de toutes façons), lui, il y tient.
Pour ça il enfile le casque. Je vous avais dit que je vous expliquerai.
Le casque réfrigéré. Ce casque ressemble à celui de la coiffeuse de ma mère, dans les années soixante dix, bleu, il servait à la mise en plis. En chimio il est réfrigéré, il faut se mouiller les cheveux avant, les trois cheveux, et enfiler un casque glaçon. Un énorme glaçon pour couper la circulation capillaire et éviter que les produits ne passent.
Jaune avec un casque bleu glacé sur la tête, frissonnant, pour conserver trois cheveux ? Pourquoi ?

La teigne…..
Qui juge, peste, râle, se croit plus forte que les autres. Qui résiste avec ce qu’elle peut, ce qu’elle a, qui refuse de prendre tout ça au sérieux et fait des blagues pas toujours très drôles. Moi,  en somme.
Moi qui ai appris que le cancer ne rend pas solidaire, n’unit pas.
Moi qui ai pu constater que le cancer ne fait que révéler ce que nous sommes en réalité, sympathiques, peureux, gentils, moches, beaux mais surtout malades.
Moi au milieu de tout ça, à me demander ce que je fous là, au milieu des autres….  La râleuse au milieu des cancéreux….

vendredi 21 janvier 2011

Les blouses blanches

Vous m’avez quittée entre les mains calleuses d’une bucheronne et j’avais promis de vous raconter mes rencontres. Les rencontres occasionnées grâce à cette boule.

Les blouses blanches….
  
Le premier médecin dont je me souvienne, notre médecin de famille, se nommait le Docteur Lamaison.
Attention, je vous vois venir, n’oubliez pas ma promesse, uniquement des souvenirs, jamais de mensonges, je vous raconte ma vie.
Enfin, des petits bouts, tout n’est pas racontable, et à me relire je constate aisément que tout n’est pas intéressant.
Et bien oui, mon premier Docteur, c’était le Docteur House ! Version française des années 70, sans cane, mais un bon foutu caractère.
Le Docteur Lamaison qui prit en charge mes otites récidivantes, ma varicelle, mes entorses de danseuse classique hyperlaxe, et qui se chargeait de me déloger de dessous mon lit lorsqu’il fallait me vacciner à domicile. Une petite peste de 25 kg hurlant sous un sommier ne lui faisait pas peur.
Il avait de gros sourcils broussailleux, et un certificat de gynécologie. Peu à peu, je grandis, me rendais seule dans son cabinet. Je pense que ma passion pour l’obstétrique vient des gardes qu’il me racontait, d’une reproduction d’un bassin osseux féminin posée là sur son bureau, et du temps que j’ai passé à le contempler me posant toujours cette question : comment ça passe par là ?
Dernière anecdote de mon Docteur House à moi, lorsqu’à 21 ans je lui ai demandé timidement une ordonnance de pilule, il eut l’air si triste, et a déclaré, « je savais que ça arriverait un jour» (moi franchement je commençais à en douter) et j’espère qu’il te mérite (moi à ce moment là je le croyais).
Un vrai médecin de famille.

Ensuite, début des études de Sage Femme, ballet de blouses blanches et de ce que je peux appeler mon opinion sur les médecins.
C’est très simple.
J’en ai rencontré qui avaient cette admirable vocation, pour qui soigner voulait dire quelque chose.
J’en ai rencontré qui avaient  un incroyable sens clinique, qualité rare, croyez moi. Savoir lire un bilan, prescrire des examens complémentaires, est chose facile. Réaliser un examen clinique est un art.
J’en ai rencontré qui avaient un sens du contact inouï, une écoute et une approche formidable.
J’en ai rencontré de très jolis, mais vraiment très jolis à regarder, du genre qui vous change une garde de 24 heures. Le plaisir des yeux n’est pas un concept masculin.
J’en ai rencontré des consciencieux, des concernés, des qui doutent toujours d’avoir pris la bonne décision, des fiables, des courageux, des impliqués, des qui soutiennent les équipes, des que l’on peut réveiller à 3 heures du matin et qui débarquent de suite, j’en ai même rencontré qui apportaient les croissants à l’équipe de nuit et qui saluaient les femmes de ménage.
J’en ai croisé un qui avait tout ça, un seul.
Mais les critères sont précis, bien d’autres en validaient plusieurs.

Mais pas que.
Il y a de bons et mauvais plombiers, garagistes, maraichers ; il y a de bons et mauvais médecins. Les années d’études n’apportent pas les qualités humaines indispensables selon moi, ni les aptitudes manuelles.


J’en connais qui n’auront jamais de sens clinique (pas dans ce sens ce forceps !) d’adresse chirurgicale (et encore un uretère de touché pendant une césarienne) le sens du contact (pas étonnant que ça suppure, la graisse est mal vascularisée, t’as vu la baleine) (la baleine a entendu, elle).


Bref, j’en connais de toutes sortes, alors imaginez mon état quand j’ai compris que je passais de l’autre côté du bureau pour un bon moment.

J’ai un principe, j’en ai plusieurs en fait je suis parfois un peu psychorigide, je ne fais pas confiance, jusqu’à preuve du contraire. Principe qui s’applique aux médecins, comme aux garagistes, aux hommes, aux avions. Oui, l’avion, c’est sans rapport mais une telle phobie, je n’ai confiance en un avion que lorsque j’en descends indemne.

Le souci avec la boule, c’est  qu’elle me laissait peu de temps pour établir une relation de confiance.

La bucheronne donc, m’examine, façon essorage de machine à laver réparée par Darty (cf mon article le comparatif livreurs) et m’assène un « je suis confiante ». Aussitôt suivi d’un « dès demain, biopsie ».
Avouez que pour rassurer, lorsque l’on sait que le lendemain est un samedi et que malgré 4 appels à des confrères radiologues et anatomo-pathologistes, je n’obtiens de rendez vous que le lundi, pour rassurer donc, il y a plus efficace.

Mais bon, j’ai de la chance, je vis à Paris, j’imagine qu’au fin fond du Larzac ce doit être bien pire.

Et surtout j’ai de la chance, je suis Sage Femme, j’ai donc des médecins dans mon répertoire qui m’orientent, me recommandent, font une sorte de premier tri, passent des coups de fil pour que je sois rajoutée au planning des consultations. Je suis une veinarde, je vous le dis.

Il y a un détail que je dois vous raconter, mon aparté habituel.
Biopsie du sein, prélèvement de plusieurs carottes. C’est le mot, des carottes prélevées par un instrument dont j’ai oublié le nom et que je n’ai pas vu, j’ai fermé les yeux comme une lâche. Mais ça ne fait pas mal, non non non non…
Il faut une petite semaine pour obtenir les résultats. Pas dans mon cas. Trop simple.

En 30 ans de carrière la bucheronne n’avait jamais vu ça, plus de deux semaines pour obtenir un résultat. J’ai eu droit à un coup de téléphone, m’annonçant qu’il était possible que j’ai une tumeur rarissime (4 cas connus dans le monde) mais bénigne. Mes lames (les lames contenant mes tissus suspects) étaient envoyées à Londres, Milan et je ne sais plus où.
Au stade où j’en étais j’aurais traversé la Manche à la nage, avec mes lames dans la bouche, sans combinaison, en plein mois de février.
J’étais d’accord pour faire toutes les émissions de télé, couvertures de magazines, même TF1 et Carole Rousseau, tout, tout pour avoir une tumeur rare.

Mais non, un cancer.
Au moins, je savais.

Et quand la bucheronne m’a déclaré je le savais dès que je vous ai examinée, je l’ai classée dans la catégorie des menteuses frimeuses. Je n’aime pas.

Il y a la catégorie des « trop impliqués ». Une radiologue par exemple.
Un jour elle avançait vers moi, avec une telle expression que j’ai souhaité très fort qu’elle venait d’enterrer sa mère. Sa mère va bien, la mauvaise nouvelle c’était moi.

La catégorie des « on vous expliquera ». Qui on ? Je pose des questions précises, ils n’aiment pas, faut pas poser des questions en plus…

La catégorie du « déshabillez-vous », or non, moi je ne me déshabille jamais devant quelqu’un qui ne m’a pas parlé un peu avant. Psychorigide je vous disais.



Ensuite, très vite, j’ai rencontré les deux principales blouses blanches qui me suivent, me soignent, me sauvent la vie depuis.
Le premier, le chirurgien, un homme rare, qu’en dire ? Je ne vous souhaite jamais d’avoir à le rencontrer bien sur mais savoir qu’il y en a des comme ça réconcilie avec le genre blouse blanche.
Le deuxième, je vous l’ai déjà écrit, c’est mon héros, et lui il est extraordinaire.

Simplement une de mes histoires avec lui :
Mon aventure avec lui a démarré par une consultation pendant laquelle il m’a expliqué mes traitements.
Je ne suis pas facile, donc pas une malade facile. J’avais décidé, m’appuyant sur un raisonnement médical assez bancal, que je ne ferai pas de chimiothérapie, j’en avais informé la secrétaire de mon oncologue.
Cet homme, qui commence ses consultations à 7 heures du matin, qui a une famille, m’a téléphoné à 23 heures et est resté plus d’une heure à m’expliquer en quoi c’était important de suivre ce traitement, pourquoi je devais le faire. Il disait, si je ne réussis pas à vous le faire comprendre ce soir, je recommence demain. J’ai compris alors, ce qu’il disait mais aussi qui il était.
J’ai mesuré ma chance. J’ai la chance d’avoir un médecin exceptionnel. Celui qui a toutes les qualités, oui oui, toutes, vraiment, en plus.


Est-ce que ça a changé mon exercice de blouse rose, je ne crois pas, mais ça a eu d’autres effets.

J’ai appris le sens du mot confiance.

J’ai pu vérifier qu’il y en a, que ça existe, le genre dont on parle sans en avoir vu réellement. 

Il y a des hommes qui ne défileront jamais sur les Champs Elysées en haut d’un bus un jour de juillet, qui n’auront jamais leur portrait sur une campagne d’affichage de parfum masculin, qui ne feront jamais rêver les adolescentes hystériques chargées d’œstrogènes, qui ne feront jamais de discours en recevant un prix sur scène.

Mais j’en connais, des héros, des vrais, ça réchauffe le cœur et éloigne le cancer.

Quand je vous dis que je suis une petite veinarde !....



La boule

La boule


C’est comme ça que je l’ai appelée d’emblée, chacun lui donne certainement un nom, ou pas, d’ailleurs. Moi ce fut la boule.




Parce que j’ai eu très tôt la chance de faire sa connaissance, dès son installation en fait. D’autres du même ordre, plus vicieuses, se cachent, j’ai pu le découvrir par la suite.
Au moins, la mienne, il faut lui reconnaître ça , elle s’est exposée assez vite.

La boule.
C’était un vendredi soir, d’automne, je m’en souviens parfaitement. Je devais sortir avec des amis, un restaurant dans mon quartier, il faisait encore doux.
En allant prendre une douche, avant d’enfiler ma petite robe de circonstance, je me plaignais.

Je n’étais satisfaite de rien. Ma semaine au bureau avait été longue, mes enfants n’avaient pas les meilleures notes, mes vacances étaient loin, mes cheveux avaient de mauvais plis, les factures s’entassaient, je n’avais pas les bottes, pardon, LES bottes, rien n’allait vraiment.
Pourtant.

C’est sous la douche, pardon de vous faire partager cette intimité, que nous avons fait connaissance elle et moi, au passage de mon gel douche préféré à la lavande de chez l’Occitane. Pour qui aime la lavande, un petit conseil, celle-ci est parfaite, pour qui préfère le miel, voir chez Nuxe, pour les bulles, je vous ai déjà expliqué.

La boule, logée dans mon sein gauche.
Pas si grosse, mais n’ayant rien à faire là. Etrangère, dure, indolore mais pas à sa place, c’était flagrant.

Dès le premier passage de la mousse, j’ai su, mais j’ai commencé tout de suite à faire comme si.
Comme si elle n’existait pas, comme si elle allait partir toute seule, comme si ce n’était pas réel, comme si quoi.

Mais elle a très vite fabriqué une copine, d’un autre genre, une pensée qui s’est logée dans ma tête. La boule du sein reliée à une idée dans mon cerveau qui se réveilla de temps à autre, régulièrement.

C’est également à partir de ce soir là que ma vie m’est apparue dans toute sa splendeur.
Envolées les angoisses de rides, les plaintes sur le célibat, les craintes de factures, les angoisses de retard, même mon travail me semblait agréable (et pourtant…).
Ma vie était géniale en l’état, je l’adorais, je ne voulais rien changer.
Je passais mon temps à lui parler (de la boule au cerveau, virtuelle, à la boule dure concrète), à lui demander de me rendre ma vie, que j’avais compris la leçon, que j’étais la fille la plus gâtée du quartier, que promis je ne serai plus jamais de mauvaise humeur sans raison, que je ne ferai plus que sourire.

Cette boule avait un pouvoir incroyable, c’était magique. Presque.

Les semaines suivantes, j’ai régulièrement vérifié sa présence, sous la douche bien sur, mais aussi dans la journée, quand je m’isolais.

J’ai développé des tas de techniques, dont vous pourrez apprécier l’efficacité.

La technique du « si je n’y pense pas, elle partira comme c’est venu ». Mais sa copine, l’autre, ne m’a pas laissé le loisir de la développer à fond. Par ailleurs je suis consciente de la puérilité de ladite technique. On appelle ça faire l’autruche je crois. Je fais mal l’autruche, moins bien que la princesse, l’albatros et la peste pour ceux qui me lisent.

La technique de l’horoscope ou du tirage des lames de tarots sur internet, avec subitement un passage de la rubrique amour à la rubrique santé. Je ne vous mens jamais, vous le savez alors deux évidences, je suis assez sotte pour avoir fait ça, et ne vous y fiez jamais, ce n’est pas avéré. Il doit y avoir des employés, virés des plateformes téléphoniques de la sécurité sociale, voir article en référence, vous dire leur compétence, qui tirent les lames du tarot incas sur internet, je ne vois que cette explication.

La technique toute aussi débile et inefficace du talisman. J’avais acheté sur un joli petit marché de haute Corse l’été précédent un caillou. Pardon, une pierre porte bonheur, qui allait m’apporter joies, équilibre et fortune. J’ai donc troqué mon diamant Din Vanh, contre un caillou noir avec un cordon en cuir qui déteignait et ne sentait pas très bon.
Vous dire parce que mon Din Vanh quand même…

Sur le même marché, si vous avez des euros à dépenser, achetez plutôt de la charcuterie, là au moins le résultat est garanti, c’est délicieux.

Afin que vous puissiez juger l’étendue de mon immaturité, sans vous lasser, je passerai rapidement sur mes « et si… alors », si le métro arrive avant une minute, si le feu passe au vert avant je ne compte jusqu’à 15, si le cordon rose que j’ai autour du poignet se brise (ruban rose vous voyez l’image ?) alors la boule va s’en aller.
Alors, non.

Vient enfin la première acceptation, la première fois où l’on ose parler à quelqu’un de cette boule.
Quelques soient les circonstances et les lieux, de la première à chaque personne à qui on va parler de cette boule par la suite, la seule chose que l’on aura jamais envie d’entendre et que je n’ai jamais entendu est : ce n’est rien.

C’est pour ça en réalité que j’en ai parlé, pour que quelqu’un me dise : ça n’est rien, arrête ton cinéma.
J’en ai parlé en commençant par, tu vas rire, te moquer de moi, je sais que c’es idiot mais un truc m’inquiète.
J’en ai parlé, pas un ou une ne m’a répondu : ça n’est rien.

Un matin, en me réveillant, j’ai ouvert les yeux, deux fois. J’ai pris mon courage, mes responsabilités de mère de famille, mon téléphone et j’ai pris rendez vous avec le premier professionnel qui allait évaluer ma boule.
Le premier médecin.

J’ai choisi une femme, une gynéco, je ne pouvais pas savoir qu’il y avait des femmes gynécologues avec des mains de bûcheron pour la taille et des callosités de maçon.
Bien la peine d’être une sage femme aux petites mains délicates entretenues à grands tubes de crèmes hydratantes !

Là bien sur, j’ai fait mon cinéma du « vous allez rire, désolée de vous déranger pour ça » et elle, elle a fait son job de médecin, qui commence par l’interrogatoire.
Comme pour la police, l’historique de ton passé médical, pas la peine de tricher, serment d’Hippocrate, elle ne peut pas balancer.
Il faut tout nous dire à nous personnel médical quand on vous le demande. D’ailleurs lors de dîners certains ne se gênent pas pour nous balancer leurs histoires n’est ce pas ?

Je n’ai pas du tout aimé sa grimace, quand elle a appris que ma mère était partie, très vite et trop tôt d’un cancer du sein.
Oups le gros mot. Le sale mot. Laché…

Première chaise où mal assise je me sens si petite, première exposition de la boule.

Je vous raconterai bien sur, et vous le lirez si ça vous intéresse, les rencontres occasionnées grâce à cette boule. Elle m’en a fait faire des connaissances, elle me fit changer de statut, de vie, de côté de la barrière.

La boule.

Je déteste ce que je vais faire là, j’ai toujours fustigé les donneurs de leçon, bien ou mal intentionnés, je ne crois qu’au libre arbitre, vraiment je déteste mais, s’il vous plait :

Aimez votre vie, telle qu’elle est ou changez là, aimez vous tels que vous êtes ou changez ce que vous pouvez changer, mais surtout, surtout ne laissez pas une boule vous faire réaliser ça.