dimanche 30 janvier 2011

Les autres....


Dans les deux articles précédents, vous avez suivi mon entrée dans la grande famille du cancer et découvert quelques nouveaux personnages.
Les blouses blanches.
Je refusais l’idée que cette histoire m’apprenne des choses, sur moi, sur la vie, cette épreuve qui transcende, ce concept judéo chrétien bien ancré encore en nombre d’entre nous.
J’ai résisté, longtemps, j’ai fait « comme si », j’ai réussi, presque, jusqu’il y a peu, je vous raconterai.
Ce que j’ignorais c’est à quel point j’allais en apprendre sur les autres malades.
Voilà donc mes nouveaux personnages, les cancéreux.

Passer du côté des soignants au côté des souffrants, est extrêmement instructif. La blouse que l’on porte nous isole, quelque soit la compassion, l’implication que l’on mette à son exercice.


Les campagnes de certains organismes de lutte contre le cancer sont parfois très bien faites. Curie en a sorti une qui disait : « une personne sur deux au cours de sa vie sera atteinte par le cancer ».
Le casting est large… C’est une forme de socialisation, aléatoire, non décidée.
C’est ainsi que j’ai rencontré les autres….

Tout commence par la salle d’attente, attente de tout, je me suis déjà expliquée sur le sujet.

Je n’oublierai jamais cette dame, la cinquantaine épanouie (physiquement épanouie) qui est venue s’assoir à côté de moi lors de mon premier rendez vous avec l’oncologue.

Ha oui, l’aparté habituel.
On dit Oncologue, parce que ça fait moins peur que Cancérologue, comme on dit service d’orthogénie parce que ça fait moins sale qu’IVG.  Les mots ont un pouvoir. Il est possible que ça fasse plus professionnel également.
Au passage, je ne supporte plus d’entendre que tel ou telle célébrité est partie des suites d’une longue maladie…. Cancer c’est un gros mot ? Il donne des aphtes ?
Bref.

L’expérimentée…
La dame un peu grasse, me semblait particulièrement à l’aise, saluant les secrétaires, prenant ses aises, deux chaises, une pour son manteau bleu marine (Neuilly souvenez vous) et son sac Longchamp du même ton. Je feignais de l’ignorer mais elle ne cessait de déborder de son fauteuil.
Comme certains goujats au cinéma qui se croient autorisés à prendre les deux accoudoirs. Il devrait y avoir une loi définissant l’accoudoir qui nous est attribué, ou mieux encore, il devrait être possible d’acheter des tickets, accoudoir gauche, accoudoir droit.

Je commis l’erreur de lever le nez de mon Madame du Figaro, elle n’attendait que ce signe pour me lancer un : « c’est votre premier ? ».
C’est mon premier ? Je n’ai pu éviter de jeter un bref regard vers mon ventre, moulé dans ma petite robe rose vif, mon amure, pour vérifier que brusquement je n’avais pas été fécondée et que je ne m’étais pas trompée d’étages avec un obstétricien.
Tout en me disant que l’obstétricien devait être gynécologue et qu’elle venait traiter ses vapeurs de ménopause, à contempler son visage rouge.
Mon premier quoi ? Ben cancer dit elle !
Mon premier cancer, avouais-je comme une pucelle, une novice.
Ben moi c’est mon troisième ! Voilà qui est rassurant n’est ce pas ? Voilà qui est intelligent ! Merci la grosse de me faire réaliser que ça peut revenir… Qu’est ce qui passe dans la tête des gens ?
Elle m’a bien sur raconté par le détail ses trois cancers, sur deux seins, celui de sa fille aînée, pour le cas où j’aurais oublié que ça pouvait être héréditaire… Mais j’ai replongé vite fait dans le Madame du Figaro, c’était moins pire.


Le groupe….

Ce fut une des rares fois où j’ai cru faire demi-tour. Le groupe du service de chimio…
Imaginez une rotonde avec répartis autour des petites cases avec des fauteuils et des malades dedans (les fauteuils et donc les cases).
Là en poussant cette porte, malgré la robe rose ou le maquillage, malgré ma bravitude, malgré toutes les résolutions, j’ai pris de plein fouet mon cancer, et celui des autres dans la foulée.
Jaunes, cernés, avec des couvertures, des casques réfrigérés (je vous expliquerai) l'air triste, limite condamnés, et vieux. Les autres malades.
Dans cette clinique il n’y a pas de pédiatrie, je n’avais pas à croiser d’enfants malades, chauves, d’enfants cancéreux, alors je me suis trouvée lâche, et j’ai filé m’installer dans mon fauteuil.
Après ça passe faut juste oublier où on est.
J'ai imaginé un transat au bord d'une piscine, avec cocktail dans un verre plutôt que dans la perf (rouge au passage) les vacances avec mes fils chéris (qui m'avaient fait une lettre à lire pendant la perf que ça m'a fait piquer les yeux d'un coup).

Mais dans les groupes, il y a parfois des éléments différents…..

Un vieux Monsieur retraité, je m’assieds à côté de lui.
Rapidement, comme il semblait s’ennuyer autant que moi, et me trouver un peu différente, visuellement tout du moins,  il entamait la conversation.
Il est où le votre ? Renseignements rapides pris sur notre localisation pathologique, nous passâmes à des sujets plus intéressants.
Il est devenu mon copain de chimio.
Comme à l’école, il calait ses rendez vous sur les miens, et me disait, le premier arrivé garde la place à l’autre ? Lorsque j’arrivais, il me faisait de grands signes, avait étalé ses affaires sur le fauteuil voisin et me souriait si largement que j’avais l’impression de venir prendre un thé avec un ami.
Il est médecin anesthésiste à la retraite, j’en appris beaucoup sur les débuts de la péridurale,  féru de littérature, ce qui nous permis quelques échanges.
Il a ce côté délicatement suranné des vieux messieurs à la bonne éducation, de jolies manières, des expressions désuètes et un œil qui frise lorsqu’il ose un compliment en demie teinte pour dire qu’il me trouve jolie.
Il parle de son épouse en disant Madame son nom de famille, ses enfants à la réussite brillante, ses vacances en Corse dans les années soixante.
Jamais une plainte sur les traitements, jamais une crainte sur l’avenir, mon copain de chimio.


La frimeuse….

Celle là, je dois avouer qu’elle m’a bluffée. Je l’ai croisée dans un véhicule, on dit ça pour un taxi conventionné où s’entassent les patients, qui nous emmenait en radiothérapie.

Je sortais du travail, passais prendre ma dose de rayons, dans les embouteillages de fin de journée, après la demie heure d’attente réglementaire avant les deux minutes de traitement, afin de pouvoir rentrer chez moi, préparer le dîner, passer un peu de temps avec mes enfants et tenter de gérer un peu les tâches de la bonne ménagère que je voulais rester.
Une journée reposante.

Elle, soixante dix ans tassés,  se plaignait de tout. Elle avait mal dormi pendant sa sieste, son mari n’avait pas pensé à acheter ses yaourts préférés, ses cheveux ne repoussaient pas assez vite, elle voulait retrouver sa féminité, elle trouvait que quand même ça brulait un peu les rayons, et sa femme de ménage prenait des vacances.
A ce stade de la rencontre elle m’était déjà très sympathique.
Question habituelle venant de la dame : il est où le vôtre ? Je gardais mon calme et répondis au sein gauche.
« Pfffff » fit-elle, « comme tout le monde, moi le mien il est à droite, c’est beaucoup plus rare ! »
Que dire ? Je l’ai largement félicitée….

La « chouineuse »….
La larme à l’œil en permanence, qui découragerait un régiment de héros ordinaires.

La « mal fagotée »
Parce que lorsqu’on est malade il faut le montrer, donc survêtement, pantoufles et pull informe. Et grimaces devant mes talons, mes jupes et mon maquillage.

Le râleur…..
C’est toujours un retraité, qui n’a rien à faire d’autre de ses journées, qui râle parce qu’il attend dix minutes avant d’entrer en chimio, qui râle parce que l’infirmière ne vient pas le débrancher assez vite, qui râle donc.

Le presque chauve…..
Façon Giscard d’Estaing, avec une mèche qui traverse son crâne. C’est toujours celui là qui tient à sa mèche. Alors que moi j’ai admis perdre mes cheveux, refusé de m’y accrocher (mauvais idée ils partent de toutes façons), lui, il y tient.
Pour ça il enfile le casque. Je vous avais dit que je vous expliquerai.
Le casque réfrigéré. Ce casque ressemble à celui de la coiffeuse de ma mère, dans les années soixante dix, bleu, il servait à la mise en plis. En chimio il est réfrigéré, il faut se mouiller les cheveux avant, les trois cheveux, et enfiler un casque glaçon. Un énorme glaçon pour couper la circulation capillaire et éviter que les produits ne passent.
Jaune avec un casque bleu glacé sur la tête, frissonnant, pour conserver trois cheveux ? Pourquoi ?

La teigne…..
Qui juge, peste, râle, se croit plus forte que les autres. Qui résiste avec ce qu’elle peut, ce qu’elle a, qui refuse de prendre tout ça au sérieux et fait des blagues pas toujours très drôles. Moi,  en somme.
Moi qui ai appris que le cancer ne rend pas solidaire, n’unit pas.
Moi qui ai pu constater que le cancer ne fait que révéler ce que nous sommes en réalité, sympathiques, peureux, gentils, moches, beaux mais surtout malades.
Moi au milieu de tout ça, à me demander ce que je fous là, au milieu des autres….  La râleuse au milieu des cancéreux….

vendredi 21 janvier 2011

Les blouses blanches

Vous m’avez quittée entre les mains calleuses d’une bucheronne et j’avais promis de vous raconter mes rencontres. Les rencontres occasionnées grâce à cette boule.

Les blouses blanches….
  
Le premier médecin dont je me souvienne, notre médecin de famille, se nommait le Docteur Lamaison.
Attention, je vous vois venir, n’oubliez pas ma promesse, uniquement des souvenirs, jamais de mensonges, je vous raconte ma vie.
Enfin, des petits bouts, tout n’est pas racontable, et à me relire je constate aisément que tout n’est pas intéressant.
Et bien oui, mon premier Docteur, c’était le Docteur House ! Version française des années 70, sans cane, mais un bon foutu caractère.
Le Docteur Lamaison qui prit en charge mes otites récidivantes, ma varicelle, mes entorses de danseuse classique hyperlaxe, et qui se chargeait de me déloger de dessous mon lit lorsqu’il fallait me vacciner à domicile. Une petite peste de 25 kg hurlant sous un sommier ne lui faisait pas peur.
Il avait de gros sourcils broussailleux, et un certificat de gynécologie. Peu à peu, je grandis, me rendais seule dans son cabinet. Je pense que ma passion pour l’obstétrique vient des gardes qu’il me racontait, d’une reproduction d’un bassin osseux féminin posée là sur son bureau, et du temps que j’ai passé à le contempler me posant toujours cette question : comment ça passe par là ?
Dernière anecdote de mon Docteur House à moi, lorsqu’à 21 ans je lui ai demandé timidement une ordonnance de pilule, il eut l’air si triste, et a déclaré, « je savais que ça arriverait un jour» (moi franchement je commençais à en douter) et j’espère qu’il te mérite (moi à ce moment là je le croyais).
Un vrai médecin de famille.

Ensuite, début des études de Sage Femme, ballet de blouses blanches et de ce que je peux appeler mon opinion sur les médecins.
C’est très simple.
J’en ai rencontré qui avaient cette admirable vocation, pour qui soigner voulait dire quelque chose.
J’en ai rencontré qui avaient  un incroyable sens clinique, qualité rare, croyez moi. Savoir lire un bilan, prescrire des examens complémentaires, est chose facile. Réaliser un examen clinique est un art.
J’en ai rencontré qui avaient un sens du contact inouï, une écoute et une approche formidable.
J’en ai rencontré de très jolis, mais vraiment très jolis à regarder, du genre qui vous change une garde de 24 heures. Le plaisir des yeux n’est pas un concept masculin.
J’en ai rencontré des consciencieux, des concernés, des qui doutent toujours d’avoir pris la bonne décision, des fiables, des courageux, des impliqués, des qui soutiennent les équipes, des que l’on peut réveiller à 3 heures du matin et qui débarquent de suite, j’en ai même rencontré qui apportaient les croissants à l’équipe de nuit et qui saluaient les femmes de ménage.
J’en ai croisé un qui avait tout ça, un seul.
Mais les critères sont précis, bien d’autres en validaient plusieurs.

Mais pas que.
Il y a de bons et mauvais plombiers, garagistes, maraichers ; il y a de bons et mauvais médecins. Les années d’études n’apportent pas les qualités humaines indispensables selon moi, ni les aptitudes manuelles.


J’en connais qui n’auront jamais de sens clinique (pas dans ce sens ce forceps !) d’adresse chirurgicale (et encore un uretère de touché pendant une césarienne) le sens du contact (pas étonnant que ça suppure, la graisse est mal vascularisée, t’as vu la baleine) (la baleine a entendu, elle).


Bref, j’en connais de toutes sortes, alors imaginez mon état quand j’ai compris que je passais de l’autre côté du bureau pour un bon moment.

J’ai un principe, j’en ai plusieurs en fait je suis parfois un peu psychorigide, je ne fais pas confiance, jusqu’à preuve du contraire. Principe qui s’applique aux médecins, comme aux garagistes, aux hommes, aux avions. Oui, l’avion, c’est sans rapport mais une telle phobie, je n’ai confiance en un avion que lorsque j’en descends indemne.

Le souci avec la boule, c’est  qu’elle me laissait peu de temps pour établir une relation de confiance.

La bucheronne donc, m’examine, façon essorage de machine à laver réparée par Darty (cf mon article le comparatif livreurs) et m’assène un « je suis confiante ». Aussitôt suivi d’un « dès demain, biopsie ».
Avouez que pour rassurer, lorsque l’on sait que le lendemain est un samedi et que malgré 4 appels à des confrères radiologues et anatomo-pathologistes, je n’obtiens de rendez vous que le lundi, pour rassurer donc, il y a plus efficace.

Mais bon, j’ai de la chance, je vis à Paris, j’imagine qu’au fin fond du Larzac ce doit être bien pire.

Et surtout j’ai de la chance, je suis Sage Femme, j’ai donc des médecins dans mon répertoire qui m’orientent, me recommandent, font une sorte de premier tri, passent des coups de fil pour que je sois rajoutée au planning des consultations. Je suis une veinarde, je vous le dis.

Il y a un détail que je dois vous raconter, mon aparté habituel.
Biopsie du sein, prélèvement de plusieurs carottes. C’est le mot, des carottes prélevées par un instrument dont j’ai oublié le nom et que je n’ai pas vu, j’ai fermé les yeux comme une lâche. Mais ça ne fait pas mal, non non non non…
Il faut une petite semaine pour obtenir les résultats. Pas dans mon cas. Trop simple.

En 30 ans de carrière la bucheronne n’avait jamais vu ça, plus de deux semaines pour obtenir un résultat. J’ai eu droit à un coup de téléphone, m’annonçant qu’il était possible que j’ai une tumeur rarissime (4 cas connus dans le monde) mais bénigne. Mes lames (les lames contenant mes tissus suspects) étaient envoyées à Londres, Milan et je ne sais plus où.
Au stade où j’en étais j’aurais traversé la Manche à la nage, avec mes lames dans la bouche, sans combinaison, en plein mois de février.
J’étais d’accord pour faire toutes les émissions de télé, couvertures de magazines, même TF1 et Carole Rousseau, tout, tout pour avoir une tumeur rare.

Mais non, un cancer.
Au moins, je savais.

Et quand la bucheronne m’a déclaré je le savais dès que je vous ai examinée, je l’ai classée dans la catégorie des menteuses frimeuses. Je n’aime pas.

Il y a la catégorie des « trop impliqués ». Une radiologue par exemple.
Un jour elle avançait vers moi, avec une telle expression que j’ai souhaité très fort qu’elle venait d’enterrer sa mère. Sa mère va bien, la mauvaise nouvelle c’était moi.

La catégorie des « on vous expliquera ». Qui on ? Je pose des questions précises, ils n’aiment pas, faut pas poser des questions en plus…

La catégorie du « déshabillez-vous », or non, moi je ne me déshabille jamais devant quelqu’un qui ne m’a pas parlé un peu avant. Psychorigide je vous disais.



Ensuite, très vite, j’ai rencontré les deux principales blouses blanches qui me suivent, me soignent, me sauvent la vie depuis.
Le premier, le chirurgien, un homme rare, qu’en dire ? Je ne vous souhaite jamais d’avoir à le rencontrer bien sur mais savoir qu’il y en a des comme ça réconcilie avec le genre blouse blanche.
Le deuxième, je vous l’ai déjà écrit, c’est mon héros, et lui il est extraordinaire.

Simplement une de mes histoires avec lui :
Mon aventure avec lui a démarré par une consultation pendant laquelle il m’a expliqué mes traitements.
Je ne suis pas facile, donc pas une malade facile. J’avais décidé, m’appuyant sur un raisonnement médical assez bancal, que je ne ferai pas de chimiothérapie, j’en avais informé la secrétaire de mon oncologue.
Cet homme, qui commence ses consultations à 7 heures du matin, qui a une famille, m’a téléphoné à 23 heures et est resté plus d’une heure à m’expliquer en quoi c’était important de suivre ce traitement, pourquoi je devais le faire. Il disait, si je ne réussis pas à vous le faire comprendre ce soir, je recommence demain. J’ai compris alors, ce qu’il disait mais aussi qui il était.
J’ai mesuré ma chance. J’ai la chance d’avoir un médecin exceptionnel. Celui qui a toutes les qualités, oui oui, toutes, vraiment, en plus.


Est-ce que ça a changé mon exercice de blouse rose, je ne crois pas, mais ça a eu d’autres effets.

J’ai appris le sens du mot confiance.

J’ai pu vérifier qu’il y en a, que ça existe, le genre dont on parle sans en avoir vu réellement. 

Il y a des hommes qui ne défileront jamais sur les Champs Elysées en haut d’un bus un jour de juillet, qui n’auront jamais leur portrait sur une campagne d’affichage de parfum masculin, qui ne feront jamais rêver les adolescentes hystériques chargées d’œstrogènes, qui ne feront jamais de discours en recevant un prix sur scène.

Mais j’en connais, des héros, des vrais, ça réchauffe le cœur et éloigne le cancer.

Quand je vous dis que je suis une petite veinarde !....



La boule

La boule


C’est comme ça que je l’ai appelée d’emblée, chacun lui donne certainement un nom, ou pas, d’ailleurs. Moi ce fut la boule.




Parce que j’ai eu très tôt la chance de faire sa connaissance, dès son installation en fait. D’autres du même ordre, plus vicieuses, se cachent, j’ai pu le découvrir par la suite.
Au moins, la mienne, il faut lui reconnaître ça , elle s’est exposée assez vite.

La boule.
C’était un vendredi soir, d’automne, je m’en souviens parfaitement. Je devais sortir avec des amis, un restaurant dans mon quartier, il faisait encore doux.
En allant prendre une douche, avant d’enfiler ma petite robe de circonstance, je me plaignais.

Je n’étais satisfaite de rien. Ma semaine au bureau avait été longue, mes enfants n’avaient pas les meilleures notes, mes vacances étaient loin, mes cheveux avaient de mauvais plis, les factures s’entassaient, je n’avais pas les bottes, pardon, LES bottes, rien n’allait vraiment.
Pourtant.

C’est sous la douche, pardon de vous faire partager cette intimité, que nous avons fait connaissance elle et moi, au passage de mon gel douche préféré à la lavande de chez l’Occitane. Pour qui aime la lavande, un petit conseil, celle-ci est parfaite, pour qui préfère le miel, voir chez Nuxe, pour les bulles, je vous ai déjà expliqué.

La boule, logée dans mon sein gauche.
Pas si grosse, mais n’ayant rien à faire là. Etrangère, dure, indolore mais pas à sa place, c’était flagrant.

Dès le premier passage de la mousse, j’ai su, mais j’ai commencé tout de suite à faire comme si.
Comme si elle n’existait pas, comme si elle allait partir toute seule, comme si ce n’était pas réel, comme si quoi.

Mais elle a très vite fabriqué une copine, d’un autre genre, une pensée qui s’est logée dans ma tête. La boule du sein reliée à une idée dans mon cerveau qui se réveilla de temps à autre, régulièrement.

C’est également à partir de ce soir là que ma vie m’est apparue dans toute sa splendeur.
Envolées les angoisses de rides, les plaintes sur le célibat, les craintes de factures, les angoisses de retard, même mon travail me semblait agréable (et pourtant…).
Ma vie était géniale en l’état, je l’adorais, je ne voulais rien changer.
Je passais mon temps à lui parler (de la boule au cerveau, virtuelle, à la boule dure concrète), à lui demander de me rendre ma vie, que j’avais compris la leçon, que j’étais la fille la plus gâtée du quartier, que promis je ne serai plus jamais de mauvaise humeur sans raison, que je ne ferai plus que sourire.

Cette boule avait un pouvoir incroyable, c’était magique. Presque.

Les semaines suivantes, j’ai régulièrement vérifié sa présence, sous la douche bien sur, mais aussi dans la journée, quand je m’isolais.

J’ai développé des tas de techniques, dont vous pourrez apprécier l’efficacité.

La technique du « si je n’y pense pas, elle partira comme c’est venu ». Mais sa copine, l’autre, ne m’a pas laissé le loisir de la développer à fond. Par ailleurs je suis consciente de la puérilité de ladite technique. On appelle ça faire l’autruche je crois. Je fais mal l’autruche, moins bien que la princesse, l’albatros et la peste pour ceux qui me lisent.

La technique de l’horoscope ou du tirage des lames de tarots sur internet, avec subitement un passage de la rubrique amour à la rubrique santé. Je ne vous mens jamais, vous le savez alors deux évidences, je suis assez sotte pour avoir fait ça, et ne vous y fiez jamais, ce n’est pas avéré. Il doit y avoir des employés, virés des plateformes téléphoniques de la sécurité sociale, voir article en référence, vous dire leur compétence, qui tirent les lames du tarot incas sur internet, je ne vois que cette explication.

La technique toute aussi débile et inefficace du talisman. J’avais acheté sur un joli petit marché de haute Corse l’été précédent un caillou. Pardon, une pierre porte bonheur, qui allait m’apporter joies, équilibre et fortune. J’ai donc troqué mon diamant Din Vanh, contre un caillou noir avec un cordon en cuir qui déteignait et ne sentait pas très bon.
Vous dire parce que mon Din Vanh quand même…

Sur le même marché, si vous avez des euros à dépenser, achetez plutôt de la charcuterie, là au moins le résultat est garanti, c’est délicieux.

Afin que vous puissiez juger l’étendue de mon immaturité, sans vous lasser, je passerai rapidement sur mes « et si… alors », si le métro arrive avant une minute, si le feu passe au vert avant je ne compte jusqu’à 15, si le cordon rose que j’ai autour du poignet se brise (ruban rose vous voyez l’image ?) alors la boule va s’en aller.
Alors, non.

Vient enfin la première acceptation, la première fois où l’on ose parler à quelqu’un de cette boule.
Quelques soient les circonstances et les lieux, de la première à chaque personne à qui on va parler de cette boule par la suite, la seule chose que l’on aura jamais envie d’entendre et que je n’ai jamais entendu est : ce n’est rien.

C’est pour ça en réalité que j’en ai parlé, pour que quelqu’un me dise : ça n’est rien, arrête ton cinéma.
J’en ai parlé en commençant par, tu vas rire, te moquer de moi, je sais que c’es idiot mais un truc m’inquiète.
J’en ai parlé, pas un ou une ne m’a répondu : ça n’est rien.

Un matin, en me réveillant, j’ai ouvert les yeux, deux fois. J’ai pris mon courage, mes responsabilités de mère de famille, mon téléphone et j’ai pris rendez vous avec le premier professionnel qui allait évaluer ma boule.
Le premier médecin.

J’ai choisi une femme, une gynéco, je ne pouvais pas savoir qu’il y avait des femmes gynécologues avec des mains de bûcheron pour la taille et des callosités de maçon.
Bien la peine d’être une sage femme aux petites mains délicates entretenues à grands tubes de crèmes hydratantes !

Là bien sur, j’ai fait mon cinéma du « vous allez rire, désolée de vous déranger pour ça » et elle, elle a fait son job de médecin, qui commence par l’interrogatoire.
Comme pour la police, l’historique de ton passé médical, pas la peine de tricher, serment d’Hippocrate, elle ne peut pas balancer.
Il faut tout nous dire à nous personnel médical quand on vous le demande. D’ailleurs lors de dîners certains ne se gênent pas pour nous balancer leurs histoires n’est ce pas ?

Je n’ai pas du tout aimé sa grimace, quand elle a appris que ma mère était partie, très vite et trop tôt d’un cancer du sein.
Oups le gros mot. Le sale mot. Laché…

Première chaise où mal assise je me sens si petite, première exposition de la boule.

Je vous raconterai bien sur, et vous le lirez si ça vous intéresse, les rencontres occasionnées grâce à cette boule. Elle m’en a fait faire des connaissances, elle me fit changer de statut, de vie, de côté de la barrière.

La boule.

Je déteste ce que je vais faire là, j’ai toujours fustigé les donneurs de leçon, bien ou mal intentionnés, je ne crois qu’au libre arbitre, vraiment je déteste mais, s’il vous plait :

Aimez votre vie, telle qu’elle est ou changez là, aimez vous tels que vous êtes ou changez ce que vous pouvez changer, mais surtout, surtout ne laissez pas une boule vous faire réaliser ça.

mercredi 19 janvier 2011

J'ai dix ans....

Je travaille dans une clinique située en banlieue.
Je ne sais à vrai dire si c’est en banlieue ou en province puisque lorsque je ne peux m’y rendre en voiture, je prends un train ou un RER.

Je préfère le train, j’ai l’impression de partir en voyage, comme dans la chanson de Dutronc Hardy, alors que prendre le RER c’est tout de suite gris comme les cheveux des deux autres mais en moins poétique.
Je préfère le train parce qu’il est direct alors que le RER veut me faire apprendre par cœur un nombre incalculable de stations de banlieue que je m’évertue à oublier par crainte d’y aller vraiment un jour.

Pour perpétuer mon habitude qui doit être un peu agaçante parfois des apartés et préambules, un jour je vous expliquerai, aussi, en quoi il est souvent ridicule de posséder une voiture dans Paris.

En effet, porte de mon appartement à porte de la salle d’accouchements, le temps voiture, train est le même, rigoureusement.

A deux détails près, je dois garer la voiture n’étant pas l’heureuse propriétaire d’un parking privé dans ce quartier très fourni en restaurants, bars et autres endroits animés, et je ne dois pas rater la train du soir, au risque de patienter plus d’une heure pour le suivant.
Deux détails, se garer et heure du train.
Sauf que, un samedi soir de printemps tiède j’ai tourné une heure et demie au volant, insultant les voitures plus chanceuses que moi qui me volaient ma place, à la limite de la crise de démence, alors que jamais je ne me charge de garer le train.
Sauf que un mardi soir de neige, je suis restée plus d’une heure sur le quai de la gare, à attendre un train en me demandant si j’allais passer la nuit là bas, parce que les intempéries dit la voix blablabla après le fameux carillon de la SNCF qui n’annonce pas souvent des bonnes nouvelles.

Donc ?
Bref.

Hier, train.
Après une belle garde marquée par la pleine lune. Non ce n’est pas une légende, la lune influence le nombre de patientes, dans mes gardes en tous cas. Ou alors la lune c’est un peu moi. Une belle garde donc.

Train que je ne dois pas rater, alors je quitte la clinique, dans les temps d’après mon expérience et mes calculs (8 minutes), pour me rendre à la gare dans la nuit fraiche et humide. Il pleut dans cette petite rue pavillonnaire, je ne dois pas rater le train et je suis un peu fatiguée.
Je ne me cherche pas d’excuses, j’explique, j’anticipe.

J’aime bien cette petite rue, je regarde les jardins le matin quand il fait jour, et j’observe les salons illuminés le soir alors que les volets ne sont pas encore fermés.
J’ai ainsi une vue des soirées palpitantes des couples de moins de 60 ans de la petite rue, les retraités eux ont le temps de fermer les persiennes à la nuit tombée.
Ou alors quelqu’un les y oblige, un décret municipal peut être. Le même qui pousse les moins de 60 ans à équiper leur jardin de balançoires en plastique jaune moche, à oublier de tailler correctement leurs hortensias et à regarder la télévision en couple sur le canapé en cuir marron.
Là n’est pas le débat.

J’ai donc les yeux ailleurs et les pieds sur le trottoir. Or le trottoir de la petite rue pavillonnaire qui mène à la gare n’est pas du genre linéaire. Des creux, des sorties de garage, un cantonnier négligeant, une étourdie fatiguée, résultat… La chute !
La vraie chute.
En une seconde je me retrouve par terre, dans une position si ridicule que je ne vous la décrirai pas, ce genre de position qui vous fait vous réjouir d’être dans une rue déserte.

Je récupère en vrac, mon sac, mon téléphone portable, mon rouge à lèvres Dior que je l’aime trop pour le laisser dans le caniveau, pas la clémentine elle a roulé trop loin, ma dignité et mon quand à moi, mes clefs et la station debout.
Durée de l’incident moins de deux minutes, je n’ai pas raté le train.

C’est dans le train que je ressens un picotement et songe à regarder mon genou gauche.

J’ai déchiré mon Jeans ! Fort heureusement pas le Jeans du moment, le chouchou de la saison, le Jeans qui fait les jambes trop longues, les fesses trop belles, le Jeans quoi vous voyez les filles.
Non, le Jeans qui est bien, celui qu’on porte de façon basique, quand on quitte son appartement à 7h30, sans vouloir faire d’effets mais en voulant rester présentable.
Déchiré mon Jeans, comme mes fils lorsqu’ils avaient dix ans et qu’un pantalon ne résistait pas plus d’une semaine aux cours de récréation.
Le picotement ? Intriguée, je vérifie mon genou.
La SNCF met à ma disposition  une rame entière à deux étages, pour que je puisse vérifier mes genoux en toute pudeur. Nous sommes si nombreux à faire ce trajet…
Je voyage toujours seule.
Ce n’est pas un slim, la saison est passée, n’imaginez pas que je baisse mon pantalon en plus dans les trains, non, je remonte la jambe du côté concerné.
J’ai un genou écorché ! C’est ça qui pique, ça saigne même un peu.

J’ai dix ans, tout à coup, j’ai dix ans.

Je ne me plains pas de mon pantalon déchiré, je ne ressens pas ce picotement lié à l’écorchure, je me réjouis. Et oui, à moi le plaisir de la croute à arracher…

En arrivant chez moi, je ressors mon stock de Mercurochrome, le rouge anti bobos que les enfants aiment tant, je me badigeonne, souffle dessus, presque je me ferai un bisou magique. Et depuis, j’attends la croute.

Cherchez dans vos dix ans, le plaisir que nous avions à guetter le bon moment d’arrachage de la fameuse croute. Vous souvenez vous de ça ?
La fierté d’exhiber la blessure, entretenue avec le fameux Mercurochrome, le genou de guerrière de cascadeuse, la possibilité de boitiller un peu de temps à autre, en attendant le moment du départ de la croute et la jolie peau neuve qui vient dessous.

Alors j’ai eu un sourire tout au long du trajet.

J’ai cherché dans mes souvenirs de petite fille de 10 ans, ce que je pouvais aisément reproduire sans inquiéter plus encore mon entourage.

Les plaisirs et autres petits bonheurs de notre enfance…

Il y en a que je pratique encore.

Un petit garçon de 4 ans, fils d’une amie,  ne m’a pas nommée fée des bulles alors que je lui donnais son bain, sans raison. Je suis la fée de bulles parce que depuis des années, lorsque je prends un bain, je fais des bulles de savon. Je peux vous donner un secret, le meilleur produit pour faire de très grosses bulles, c’est le « petit marseillais » quelque soit le parfum.

Les grimaces à d’autres enfants. Puisque j’ai dix ans, je n’hésite jamais à tirer la langue ou à faire ma pire grimace à un marmot, plus petit que moi, dès que sa mère tourne le dos. Si elle opère un brusque retournement alertée par le marmot fayot, je reprends illico mon attitude de femme responsable.

Délicatement séparer les deux côtés d’un choco BN, au chocolat, en les tournant, ne surtout pas tirer dessus, tourner et récupérer le côté qui a le plus de garniture. A 10 ans on racle tout bien avec le doigt et on laisse tomber le biscuit sans intérêt.

Se consoler d’un chagrin avec son doudou. L’objet sans forme, sans couleur, mais chargé d’odeurs et de taches indélébiles qui a survécu à tout. Déménagements, adolescence, mariage, tri printanier, vide grenier, dans le désordre, bien sur. Le serrer contre soi en lui disant, toi au moins tu me comprends, et le croire. Tout lui raconter, se moucher un peu dedans, au point où il en est, se sentir mieux dans ses 10 ans.

Compter combien il faut de fraises Tagada pour avoir vraiment la langue rouge, mesurer la longueur d’un rouleau de réglisse, vérifier que la fabrication respecte la norme sur plusieurs rouleaux, connaître le nombre de Chamalows qui tiennent dans la bouche et avec lequel on peut parler tout de même. A 10 ans on a toujours plein de bonbecs.

Dessiner une marelle sur un parking, un sourire sur un miroir d’ascenseur (sacrifier alors son rouge à lèvres chéri qui a résisté à la chute), abaisser son parapluie et se pendre une pluie dégoulinante sur le visage bien levé vers le ciel (mascara waterproof conseillé)  chanter à tue tête et très faux dans un endroit public (demande un peu de courage), et sauter à cloche pied sur les rayures du passage piétons (si c’est rue de Rivoli un vendredi à 18 heures vous avez ma totale admiration), à 10 ans on ose tout.



Des trucs de gamine, des plaisirs décomplexés, des petites joies égoïstes, un philtre enfantin sur un quotidien adulte, ça s’entretient tout ça non ?

Moi ça va, j’ai mon genou qui croute, et vous ?

C’est quoi vos trucs de gamins ?
On partage, allez tu m’en files ? Hein ? Sinon j’te cause plus, t’es plus ma copine….t’es plus mon copain….

jeudi 13 janvier 2011

Madame du Figaro

Que diriez-vous d’un petit « ça m’énerve » supplémentaire ?

Ho bien sur pas une révolte engagée, une critique sociale acerbe, un coup de gueule ravageur, je laisse cela aux actrices que je veux bien croire sincères ou aux chanteuses qui construisent des hôtels rue de la Paix mais me semblent moins convaincantes.
Non, non, un petit « ça m’énerve », juste pour me faire du bien.

Certains, certaines vont toutefois s’étonner du sujet de cet agacement, récent mais persistant.
Pour ceux et celles qui l’ignorent encore, il est en totale contradiction avec une de mes plus vieilles et tenaces addiction. Mais….. Fallait bien que ça arrive….tant va la cruche à l’eau, qu’à la fin, elle pique une crise.






Distribution des rôles donc.
La cruche : moi-même. 20 années de cruchonne, régulière, sans faille, accrochée à l’eau comme je sais m’accrocher, cramponnée.
L’eau : les magazines féminins.
Et la niche se demandent ceux qui me suivent, elle arrive, elle arrive je vous le promets.

Oui, 20 ans à lire la presse féminine. Marie Claire, Cosmo, Biba et Glamour. Mes co addicts se diront que pour certains titres c’est impossible, bien sur, disons que j’ai enrichi au fil des années ma consommation.
Jamais dupe, toujours lucide, mais rien n’y fait, je ne peux résister à chaque nouvelle parution.


Au passage avez-vous remarqué que la date de sortie est de plus en plus avancée dans le mois précédent ? Non ?

Nous, les filles accro à la presse féminine, nous retrouvons à faire l’essai du maillot parfait en avril, le test de notre quotient sexuel en mai, en juin nous savons si l’amour de notre été survivra à la rentrée, en juillet nous prenons les résolutions d’automne, en septembre nous faisons le régime détox avant les fêtes, en octobre des achats de Noël, en novembre nous savons tout de notre horoscope de l’année suivante.

C’est une vraie perte de repère, il faut avoir de la mémoire, de l’organisation et des fiches avec rappel sur agenda (il existe sans nul doute une application Iphone pour ça) pour ne pas débarquer grosse sur la plage dans un maillot de l’année dernière, résolue à exploiter un capital sexuel mésestimé, les bras chargés des cadeaux « que c’est trop ça la tendance du moment » et certaine de rencontrer un lion.

Mais on s’organise, on tient bon, hein les filles ?

La presse féminine donc, qui nous fait passer, nous prend un peu aussi pour des connes, mais pas que.
Cette presse à laquelle je ne peux résister, craignant de rater la sortie de la crème miraculeuse anti tout, le retour des poix et de la rayure marine (période très courte de chaque année où ces deux imprimés sont de sortie, tous les ans, oui oui), le témoignage de la star, voir ma référence à la papesse du genre Monica dans un de mes articles précédents, ou le fameux menu de Saint Valentin, parce que fort heureusement on a la fiche « cette fois ci je rencontre un mec bien ».

Bien sur jamais je ne lis les critiques littéraires, les pages pratiques.
Toujours je peste contre ces mannequins pré pubères anorexiques, entortillées sans signe extérieur de souffrance autour d’un cactus mexicain dans le désert du pays du même nom, pour présenter une paire de chaussures importables mais à porter quand même, avec le « must have » sarouel moutarde.

Bien sur, mais un peu de futilité, de parce que je le vaux bien, et de frange ou pas frange, dans ce monde de brutes fait du bien non ? A moi oui en tous cas, jusqu’à ce que je croise la niche…


Ho cancer, tes  effets secondaires et  tes dommages collatéraux Ho toi cancer comme je te déteste alors.

Alors évidemment, les patientes de Villejuif n’ont pas ce grave problème, celles de province non plus d’ailleurs qui font parfois une centaine de kilomètres pour se rendre à une séance, mais moi je suis suivie à Neuilly, sur Seine, parce que Neuilly en Thelle existe aussi mais dans un tout autre genre.

C’est un hasard, mais je n’ai aucun doute là-dessus, je suis bien suivie à Neuilly.

La maladie, source de tant d’enseignements, m’a appris le sens précis d’un mot.
Le corps médical ne nous appelle pas des malades, des cancéreux, des condamnés à mort, des « greveurs » de déficit de sécurité sociale, le terme exact est : patient.

Parce que patient il faut l’être. Des heures en salle d’attente, des heures de traitements, des heures sur différentes chaises, plus ou moins collée à d’autres patients, mais des heures surtout.

Alors un jour, lasse de patienter, dans une salle d’attente Neuilléenne, j’ai tendu la main à Madame Figaro.


La toute première rencontre est inoffensive, comme la découverte d’un autre monde, c’est exotique.

Mais au rythme d’un rendez vous par semaine, pendant un an, avec ce seul magazine disponible, croyez moi on se forge une opinion honnête et éprouvée.

Madame Figaro, tu m’énerves.
On devrait dire Madame du Figaro, déjà pour commencer.

Ensuite, sachez que tous mes commentaires sont dénués de connotation politique, et que j’ai un amour profond pour Jean d’Ormesson.
Mais Madame du Figaro, tu m’énerves.



Quand tu nous fais la shopping liste de la rentrée, mon dressing me semble être un surplus d’Emmaüs.

Quand tu évoques les bijoux indispensables, j’apprends des noms de créateurs que tu dis classiques.

Quand tu es fatiguée, mais de quoi feignasse, aucune page emploi ou « comment valoriser mon cv » comme dans cosmo, quand tu es fatiguée donc tu pars faire une détox de luxe en Italie.

Quand tu bricoles vite fait un petit dessert c’est un gâteau de semoule de Kamut sans doute soufflée par Camille Lesecq, moi j’ajoute du miel d’acacia à un yaourt.

Tu habilles tes enfants façon « New old school » « bébés rockers » ou « singing in the rain », tous blonds, un hasard. Chez moi si il y a deux chaussettes identiques, fois deux pour jumeaux, je célèbre Saint Thomson, mon sèche linge.

J’en ai lu peut être 428, mon sens de la mesure, pas une page des triplés avec ses répliques désuètes prononcées par une mère re blonde ne m’a fait esquisser l’ombre d’un sourire. Alors que parfois dans la vie, je pouffe d’un rien.

Tu décryptes les cougars à grand renfort de psychologue, juste après avoir posé la question : « comment être soi au milieu des autres », une table ronde sur ce que veulent les femmes.
Alors que je regarde Cougar Town en streaming.

Dans tes pages cultures j’ai appris que la Sibérie est l’un des centres majeurs de l’art contemporains en Russie. Sans voix.

Yves Salomon vend des manteaux de fourrures au 245 de la rue Saint Honoré. Et ma boulangère des éclairs à la pistache.

Tu me traites de mère solo, je te soupçonne d’apprécier l’expression « héros ordinaire ».

Tu as évidemment une chaise tulipe, à côté d’un canapé Mah Jong Matelot , tu sais où je les mets moi les tulipes ?

Une créatrice de mode alanguie après son ouverture de boutique à Los Angeles, où tu t’es rendue bien sur, déclare « je me maquille peu mais je fais attention à mon teint » alors que moi, mon teint si je me maquille peu, il est vert comme les palmiers de Los Angeles.

Chitose Abe, une styliste japonaise, m’apprend que je dois avoir une tenue en accord avec mon mode de vie. Depuis je cherche, je cherche.

Pause : ne m’épargnez pas, si quelqu’un avait déjà entendu parler de cette styliste, je veux le savoir. Même chose pour Pichayanun Chindhaporn et Elena Stongyliotou, stylistes également.

Je ne serai jamais dans le carnet de Stéphane Bern, alors que je jure y avoir vu la mère du Monsieur de Ma Dame (cf articles précédents).

Mauboussin a payé une actrice pédante et sans talent, pour se coller les cheveux en travers du visage, éteindre son regard photoshopé,  et lui faire dire alors que elle semble sortir de trois heures de soins esthétiques et  des mains de  Farrugia, Fred bien sur, « amour le jour se lève ».
Mon radio réveil de fille qui ne boit pas de thé le matin…..


Tes mots croisés ? Réticule, en trois lettres….. alors ….. sac !
En astronomie, réticule est le nom d'une constellation de l'hémisphère sud, c’est marqué dans wikipédia.


Et les derniers pour la route parce que m’énerver n’est pas bon etc etc, mais comment y résister….

Madonna dit se réveiller chaque matin avec un plan de bataille dans la tête et c’est épuisant alors que j’apprends que Paul Smith, l’heureux homme a dû se fâcher quatre fois dans sa vie. Je suis plus Madonna que Smith, donc.

Madame du Figaro, pardon par avance, mais…. Salope.
Désolée, ça fait du bien, sa niche est si éloignée de la mienne que jamais elle n’entendra mon juron.

Je ne peux plus la lire, Madame du Figaro, j’ai peur que l’effet de mes chimio s’annule devant l’abîme qui me sépare de sa vie parfaite, si riche et enrichie, si trop tout.
Survivre je vais le faire, mais la vie de Madame du Figaro, je ne l’aurai jamais….

En même temps, devinez qui a déposé un Charlie Hebdo à Neuilly, négligemment et se rend en salle d’attente avec les Inrock piqué à son fils…


Madame du Figaro, pfffff

Il y a....


Il y a d’abord ceux qui parlent grade de tumeur, centimètres et pourcentages de survie après 5 ans, ceux là, au début il est difficile de les croire, juste envie de leur demander où sont les caméras et qui a eu l’idée de cette sale blague. Parce que des potes assez cons pour faire ça on en a bien sur, hein ? non, ha bon, non.


Il y a parfois ceux qui téléphonent pour avoir des nouvelles, avec ce ton enjoué du « salut, ça fait longtemps, alors quoi de neuf ? », alors on leur dit quoi de neuf et ils ne rappellent jamais. Ceux là, peu nombreux, on ne les regrette pas, on ne leur en veut même pas.

Il y a celle qui vous dit « chacun sa merde » et c’est justement ça qu’on veut entendre, chacun sa merde ça veut dire qu’on n’a pas le monopole de la misère, du malheur, ça veut dire que ce n’est pas si grave et on redevient quelqu’un de normal, comme les autres.

Il y a celui qui arrive un jour avec sa tondeuse pour raser ces cheveux qui tombent par poignées, et qui vous jure que vraiment on est trop belle tondue, qui vous regarde avec de tels yeux que alors oui on le croit, on est belle. Mais pitié qu'on arrête alors de me parler de Sinead O Connor, je n’aime pas cette chanteuse, elle me saoule.


Il y a les Paulo Coelho istes, qui vous jurent qu’après la vie va nous sembler différente, qu’on aura enfin appris à relativiser, qu’on va gagner en optimisme et peut être même sa place au paradis ; alors ceux là on leur répond qu’on savait déjà relativiser, que notre vie était parfaite avant ça, qu’on connaissait déjà l'essentiel et que le paradis non merci, ce qu’on veut c’est que l’enfer en bas s’arrête, en ajoutant : bordel de dieu (pour être certaine qu’ils ne le diront plus).


Il y a les autres malades, croisés forcément puisque le service de chimio trouve intelligent de nous ranger en demi-cercle pour surtout ne pas rater le spectacle de leur douleur. Alors on se découvre égoïste, égoïste de ne pas vouloir les voir, égoïste de se rassurer en les constatant plus atteints, égoïste de ne pas leur parler, comparer nos états, au nom d’une solidarité utopiste. On les trouve moches, puants, inquiétants, on ne les aime pas, c'est comme ça.

Il y a ceux qui vous disent comme c’est joli ces foulards avec un petit ton compassé, et à qui on répond crânement que les cheveux aussi ça faisait joli.
Il y a ceux qui vous disent comme c’est joli ces foulards avec un ton qui montre qu’ils ne saisissent pas leur utilité, alors à ceux là on répond crânement que oui c’est joli.
La perruque indécente qu'on s'achète pour avoir enfin ce carré impeccable et glamour qu'on n'aura jamais au naturel.

Les sous vêtements, robes décolletées et bustiers qu'on garde dans le dressing même si, bien que, pour quand, et alors ?

Il y a les chiants qui se croient obligés de vous rappeler que le moral c’est 50% de la guérison et si j’ai doublement le moral ça marche mieux ?, les effrayés qui ne vous approchent plus, peur de la contagion, les innombrables médecins à qui il faut montrer ses seins et leur filer des honoraires en plus, ceux qu’on n’aurait jamais imaginés présents, ceux qu’on aurait jamais imaginés vous aimer autant, ceux qui ont toujours eu dans leur entourage quelqu’un qui et qui a fait comme si et tu devrais ça, ceux qui vous disent c’est comme moi, j’ai une angine terrible.

Il y a ceux qui draguent, expriment leur désir, et à qui on a juste envie de dire que mieux qu’une proposition sexuelle on serait capable d’épouser le premier homme qui viendrait nous préparer une compote de pommes parce que là c’est juste ce qu’on voudrait manger et qu’il n’y en a pas. Mais il faut croire que la compote de pommes est plus difficile à faire qu'un 69.
Celui qu'on voit excité à l'idée qu'en plus des cheveux on perd les poils, tous les poils...

Le banquier qui du jour où il remarque les virements sécu, les faux cheveux, annule l'autorisation de découvert et prévient que tout prêt désormais est pure utopie.

Il y a celles qui en comprennent pas qu’on ne se comporte pas en malade, que l’on porte des robes légères, des jupes courtes, du rose et des fards, celles qui n’aiment pas qu’on se comporte en fille et pas en cancéreuse standard. Ben oui pour rassurer les braves gens il faut leur montrer un peu de malheur, pour qu'ils puissent se dire dans leur petite vie qu'ils ont de la chance.
Il y a aussi celle qui rase les engueulades passées et stériles, qui revient malgré les malentendus parce qu'elle se concentre sur l'essentiel, l'amour. Celle qui envoie des cartes à paillettes avec des fées, des fleurs et des phrases encourageantes pour que j’aie autre chose à ouvrir au courrier que des bilans sanguins, des relevés de sécu et des relances bancaires.

Les curieux qui demandent c'est dur ? Et qui croient qu'on va leur expliquer en détail ce que font des mois de chimio, alors je leur réponds que non, même pas mal.

Les optimistes qui demandent si j'ai envisagé ma mort, en imaginant sans doute que comme eux je me crois immortelle.
Les admiratifs qui s'exclament quel courage alors que sincèrement si j'avais eu le choix j'aurais fait une entorse, parce que au fond je suis lâche, peureuse et paresseuse.
Le crétin qui téléphone pour dire "t'as vu Bashung est mort", toi ça va ? Ben oui je prépare un album et une tournée.
L'imbécile du bloc opératoire qui dit "elle en fait une tête la petite dame" (cette manie du personnel hospitalier de nous appeler la petite dame) alors qu'on va perdre une partie de nous même dans 10 minutes, regarde le dossier connasse, ben quoi ?
Les enfants qui finissent par s'y connaître à fond en chimio, rayons, scanner, devant qui il faut rester droite parce que c'est ce qui compte pour eux, pour ne pas avoir peur.
L'esthéticienne a qui on demande une réduction pour un soin demi buste juste après lui avoir acheté un mascara alors qu'il reste deux cils sur la paupière droite.

Et tous ces blogs qui parlent du crabe, qui racontent les effets secondaires qu'on n'a pas encore eu, sur lesquels on navigue et dans lesquels on finit par couler.

Les combats courageux des célébrités en une de Paris Match, et la mère de famille célibataire alors ? Pas de une pour elle ? Ha si, si elle est bien médiatique, du genre à poser avec ses cinq enfants, un teint jaune, des cernes noires pour contraster avec le titre en rouge bien gras : « elle prépare son départ et l’avenir de ses enfants ».

Le héros, celui qui tient ma vie dans ces mains, qui me téléphone tard le soir, les jours de mauvaises nouvelles, alors qu'il devrait aller retrouver sa famille. Mon héros qui dit être combattif sur mon dossier, qu'il y a des solutions, des espoirs, superman, batman, spiderman et action man concentrés en un oncologue.

Alors oui je me plains de la vie, que j'aime tant, je me demande quelles fautes j'ai pu commettre dans mes vies antérieures, ai je dénoncé des juifs, vendu Jeanne d'Arc aux Anglais ?
Je voudrais qu'on me donne une raison à tout ça parce que le pas de bol est inacceptable, et surtout sans solution.
Et surtout je voudrais me plaindre parce que c'est chiant, c'est long, ça fait mal, ça fait peur mais qu'il y a d'autres façons d'en parler, qu'on peut en rire aussi, qu'on peut lutter avec des mots.

Ce que j'écris est sans doute difficile à lire, mais s'il vous plait, ne le prenez pas mal, ne le prenez pas trop, et pourquoi pas trouvez un moyen de rire avec ça, contre ça, avec moi.
C’est chiant une cancéreuse, ça se croit tout permis à force de se dire et alors ? Pourquoi pas ?

Ha non c'est un peu court


A un ami me demandant si avec de telles doses de corticoïdes, je ne ressemblais pas un peu à une mouche agitée la nuit…..

Ah ! Non ! C'est un peu court, jeune homme !
On pouvait dire... oh ! Dieu ! ... bien des choses en somme...
En variant le ton, —par exemple, tenez :

Agressif : « moi, Madame, si j'avais de telles nuits,
Il faudrait sur le champ que l’on m’assommasse ! »

Amical : « mais vous devez être à la masse :
Pour tenir, faites-vous fabriquer un hamac ! »

Descriptif : « c'est un stress ! ... c'est un bug... c'est un couac !
Que dis-je, c'est un couac ? ... c'est si ridicule! »

Curieux : « à quoi servent ces petites capsules ?
De drogues, Madame, ou de bonbons à l’anis ? »

Gracieux : « aimez-vous à ce point les chauves souris
Que maternellement  vous vous préoccupâtes
De tenir compagnie à leurs petites pattes ? »

Truculent : « ça, Madame, lorsque vous piquez du nez,
Vos paupières ensablées tiennent elles fermées
Sans qu'un enfant ne crie attention l’escalier ? »

Tendre : « a-t-on jamais vu un prince charmant
Réveiller une belle jamais ne s’endormant ! »

Pédant : « l'animal seul, Madame, que Lacan
Appelle hyppnonoctophantocamélan
Dut avoir de telles insomnies peu commodes ! »

Cavalier : « quoi, l'amie, ce noir est à la mode ?
Pour une robe d’hiver est ce là le dress code ? »

Emphatique : « aucun personne ne peut, c’est médical,
Tenir sans dormir c’est trop expérimental ! »

Dramatique : « c'est la huitième heure qu’elle égrène ! »
Admiratif : « pour un réveil, quelle enseigne ! »
Lyrique : « est-ce une mouche, êtes-vous un gardon ? »
Naïf : « cette chambre tant équipée à quoi bon ? »
Respectueux : « souffrez, Madame, qu'on vous salue,
C'est là ce qui s'appelle les nerfs à nus ! »

Campagnard : « hé, ardé ! C'est-y un roupillon !
C'est queuqu' gigue avancée  ou ben cuite de saoulon ! »

Militaire : « dormez Madame Valérie ! »
Pratique : « voulez-vous porter un bonnet de nuit ?
Assurément, Madame, ce sera le pompon ! »

Enfin parodiant Morphée en un sanglot :
« voilà ce cachet qui des traits de la chauve
A détruit l'harmonie ! Il en reste, la pauvre ! »


—Voilà ce qu'à peu près, mon cher, vous m'auriez dit
Si vous aviez un peu partagé de ces nuits :
où je tourne et retourne, les yeux interdits
Je ne vous souhaite jamais une telle infamie
Vous avez que les trois qui forment le mot : ami !

etc etc