Dans la série, Valérie expérimente de nouveaux territoires, je vous ai servi le marketing opérationnel, l’import de gadgets asiatiques, le cancer, la livraison à domicile, je pense qu’il est l’heure vous raconter mon incursion dans la noblesse.
Je me dois de rester précise, n’oubliez pas que je n’invente rien, que je n’ai aucune imagination mais une excellente mémoire.
Donc, la vieille noblesse française, parisienne, traditionnelle, pas une noblesse d’empire faite de barons, et encore moins la vieille noblesse provinciale, attachée à ses ruines. Encore une niche donc, à se demander pourquoi je croise tant de niches….
Plusieurs préambules pour ma défense, parce que croyez-moi il va en falloir.
J’ignorais que cet homme, pour ceux qui me lisent c’est celui du Ma Dame, était noble.
J’ignorais d’ailleurs qu’ils existaient encore des nobles, j’ai eu certes un bac scientifique mais un professeur d’histoire entêté avait réussi à m’appendre une histoire de révolution et de république.
J’ignorais tout des codes, mais pensais avoir quelques bases de bonne éducation.
Et enfin, mon lourd passé de danseuse classique, fait que je me tiens bien droite, le menton levé, les épaules dégagées, avec un port de tête légèrement altier, le ventre rentré, les pieds discrètement croisés, non par choix, mais par réflexe, craignant toujours la baguette de mon vieux professeur à l’affut du moindre relâchement (assorti du : on dirait une éléphante).
Ce passé donc, m’a valu le surnom de « princesse » pendant mes années collèges, lycée, fac. Et ce n’était pas un compliment…
Lorsque un garçon, de seconde, celui qui est le garçon, il y en a toujours un, le garçon qui change ta semaine lorsqu’il te parle, ton trimestre lorsqu’il s’assied à côté de toi en physique chimie (deux heures, le plus long cours de la semaine) et ta vie lorsqu’il t’invite à sa boum, ce garçon, si il te lance « vlan la princesse au tableau », ce n’est pas un compliment.
Surtout s’il ajoute Minnie après princesse, parce que qui dit danse classique, dit en dehors.
En dehors, mais si vous savez, pieds en canard, le truc qui fait ressembler les danseuses classiques à l’albatros de Baudelaire. « Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule! Lui, naguère si beau, qu'il est comique et laid! », en résumé si gracile sur scène, si ridicule dans les couloirs du lycée.
La princesse Minnie chez les nobles….
Princesse ne fut que mon surnom et je ne pus m’en prévaloir au titre d’une quelconque expérience, au titre tout court d’ailleurs.
Quelques détails auraient dû m’alarmer.
Le nom, déjà, et la présence du « de ». Le « de » qui change tout. Mon nom de jeune fille est formé d’un Le. Majuscule au Le, minuscule au de. On dit Monsieur de Villepin ou Villepin, Madame Le Guilloux. ou Le Guilloux. Ce n’est pas un hasard, c’est un code.
Le patronyme donc : de Machin, de Bidule, de Truc, de Chose (anonymat respecté) méfiez vous, ne faites pas comme moi, ce n’est pas un exercice de mémoire, un attachement aux grands parents de chaque branche, c’est un autre code.
La première incursion, le dîner…
Je ne vous raconterai que cette expérience, elle débuta et résuma mon parcours chez la vieille noblesse française parisienne.
Tout simple, un petit dîner impromptu, une sorte d’intronisation sans cérémonie puisque le Monsieur, fils de, est accompagné d’une Madame sans particule.
Sont présents :
Le fameux amoureux de Ma Dame (de moi-même donc) et il fallait qu’il le soit au moins ce soir là pour oser une telle entorse à la bienséance (ma présence).
Le comte, le père, désespéré, je l’ignorais, je pensais que cette lippe dégoutée était son expression naturelle, elle collait si bien à ses bas joues, et à son regard méprisant.
Le comte qui savait que son fils aîné, le fameux de plus haut, hériterait du titre, et comptait bien m’en écarter (du titre et de l’aîné).
Alors que franchement, il était évident que son fils cadet ne serait pas ni militaire, ni prêtre, comme inscrit dans leur code, comme quoi il existe des principes aléatoires, des codes dérogeables.
Mes fils, ou comment je suis passée de roturière à panier garni. Encore un joli mot pour expliquer que l’infortuné nobliau, avait rencontré une dame encombré de marmots.
Une vraie descendante. Le rêve du comte, pas celui de Perrault, je commets quelques fautes d’orthographe mais pas toujours.
Une vraie descendante de bonne famille, avec un nom à faire rêver un Bourbon, célibataire de 30 ans, mais hélas pour elle, dépourvue du physique qui fait rêver un garçon célibataire de 30 ans.
La vie est mal faite, sale distribution des rôles, elle avait ce qui me manquait et réciproquement.
Elle prognathe, nantie d’un bassin autorisant à vue d’œil la naissance de macrosomes par voie basse, affublée du serre tête en velours, de bijoux de famille (des vrais), de légères rougeurs faciales liées sans doute à des vapeurs virginales tardives.
Ses phrases commençaient par « dans le château de Mère » « dans le vignoble de Père », ou lors de l’ouverture de la chasse (à courre bien sur). Immédiatement est née entre nous une amitié faite de respect mutuel, de connivence, de tendresse.
Et quatre autres, du même ordre, dont un n’était pas noble mais fort heureusement très très fortuné et avait eu le bon goût ayant perdu sa mère très jeune, d’avoir été éduqué dans une pension catholique privée. Privée de beaucoup de choses j’en conclus, mais qui lui avait laissé un balai profondément enfoncé quelque part et un comportement psycho rigide s’expliquant par là même.
Passage à table.
Sans le « A table ! » que je braille parfois parce que les éléments de mon panier garni ne m’entendent pas, ni celui festif et joyeux des soirées entre amis.
Passage à table, première épreuve.
Où m’assoir ?
Futée et embarrassée, j’attendis, je fis bien. Restait une chaise libre, la mienne. A gauche du maître de maison. A droite c’est l’élément important du dîner (la bécasse), à gauche la femme la plus vieille de la table, moi.
J’ai tant appris sur le placement de table par la suite que je me réjouis régulièrement de ne jamais recevoir d’évêque, de jeunes mariés de moins d’un an, d’élu de la république ou de veuve titrée pour la même circonstance. Alors que séparément, bien sur….
Assise. Pas mes coudes sur la table, bien droite comme la princesse Minnie, je me tais.
Pas par choix, vous me connaissez, mais je ne peux trouver matière à entrer dans le sujet.
Arrivée du premier plat, apporté par Mademoiselle. Lysianne, la bonne.
Du caviar, avec comme il se doit des œufs brouillés. J’avais 34 ans et n’avais jamais mangé de caviar. Ben oui, ça arrive, j’en ai encore honte aujourd’hui…
Je me sers, pourquoi moi en premier ? ¨Parce que je suis la plus vieille, andouille.
Avec quoi je mange ça ? Fourchette ? Cuillère ?
Un vrai grand moment de solitude. La grande question !
J’attends, et là effroi, après de longues minutes de silence affligé, de regards appuyés, je finis par comprendre que personne ne touchera ses œufs avant moi, à gauche, la plus vieille, c’est moi qui commence.
J’attends, me disant qu’un affamé va se saisir de la fourchette ou de la cuillère pour me donner une indication, si ce n’est pas charité chrétienne au moins par réflexe. Que nenni.
Alors, en toute honnêteté, j’ai du avoir la chance du débutant, j’ai pris le bon ustensile, parce que si la reine d’Angleterre selon la légende bien connue a bu son rince doigts pour ne pas embarrasser son invité étranger, eux ne m’auraient pas suivie dans mon erreur.
Le caviar c’est bon, mais bon de là à discourir sur le Béluga, l’Ossetra ou l’Alverta….
Le reste du dîner me permit de perfectionner mon apprentissage, j’apprends vite il faut le dire.
Une femme ne sert pas le vin, mais peut en boire (trop si c’est la bécasse).
Une femme ne relève pas les erreurs culturelles d’un homme (Si Orsenna a écrit quelques discours de Mitterrand).
Une femme ne se lève pas pour aider Mademoiselle (réflexe débile de fille qui n’a pas grandi avec des gens pour faire ça).
Une femme qui répond ne pas pratiquer le golf, monter (à cheval) être classée (au tennis) ou inscrite (à une régate) mais qu’élever des jumeaux seules est tout de même un sport n’est pas follement drôle.
Une femme, la vieille de la table, se doit de fatiguer la salade.
Fatiguée la salade ? Elle aussi ? Non, on dit fatiguer pour mélanger. Ha ! Uniquement pour la salade, pas pour le café et le sucre, dire « ho comme je fatigue mon café et mon sucre » n’a aucun sens.
Un panier garni peut se réjouir d’entendre la phrase suivante : « au moins ils sont très attachants et semblent avoir de bonnes manières » au sujet des ses fils de 5 ans, et ne doit pas s’en agacer, surtout pas. Dommage….
Répondre : « Rien, ils sont morts » à la question que font vos parents ma chère ? ne vous évitera pas d’avoir à expliquer que votre père vendait des bicyclettes, et que votre mère avait débuté dans la vie professionnelle à 14 ans comme Mademoiselle.
Si Pierre se réjouissait d’entendre « l’aîné est si calme », Paul trouvait que « le puiné est plus remuant » était moyen moyen hein maman je suis pas puits du nez, non mon cœur….
Que le même Paul d’ailleurs contredise le comte sur son « ce chien est hystérique » en précisant, « ben non Monsieur de truc de machin, de chose etc etc, maman elle dit qu’hystérique ça vient d’utérus, si c’est un chien il n’en a pas lui d’utérus » n’augure pas d’une belle et douce fin de soirée.
Parce que oui mon fils a dit ça, oui je suis le genre de mère sage femme qui parle d’utérus avec ses fils, et oui un brusque gonflement des bas joues, est signe d’un noble affront.
Ne pas avoir vu le Pape, (juste une vierge en 3 D ce soir là) (c’est idiot mais ça m’amuse), ne pas avoir de confesseur, (rien à voir avec un psy), ne pas avoir sa chaise à l’église du village de la propriété familiale de province (la propriété est provinciale, surtout pas la famille) est déjà très handicapant.
Mais déclarer être favorable à l’avortement forte de quelques tristes histoires sociales croisées lors de mon exercice, choquée par les déclarations du tremblant de Rome sur l’usage du préservatif, tout en tentant d’expliquer que l’on est charitable et respectable est vain.
S’étonner que l’on puisse encore avoir envie d’apprendre à danser le menuet, que l’on parte chasser avec une lavallière, des boutons de manchettes et un feutre, qu’en sabrant le champagne on s’écrie vive le roi, et que l'on passe chaque dimanche 4 heures à table à s’emmerder autant, est vain.
Alors leur dire que j’ai dans le cœur la noblesse qu’ils se vantent d’avoir dans le nom et le sang ne servit à rien.
Tenter de prouver que démocratie, égalité, sont de plus jolis mots que caste et privilèges de famille ne servit à rien.
Leur faire remarquer qu’ils n’avaient pas le monopole de la culture et de la bonne éducation, ne servit à rien.
Croire que 7 années de patience allaient changer la volonté première du comte, ne servit pas plus.
Le fils aîné, déchiré entre son respect filial et son amour pour moi, me quitta.
En réalité, il en a trouvé une plus jeune, sans enfant, avec moins de répartie, plus convenable donc.
N’imaginez pas un drame d’amours contrariées, Disney tu nous as bien appris, il m’a trompée deux ans et quittée comme une vieille chaussette trouée. C’est moins joli mais prouve la noblesse du Monsieur.
Donc en résumé, si vous souhaitez enrichir votre vocabulaire, boire de très bons vins dans du joli Crystal, comprendre enfin la différence entre le Béluga et l’Alverta, monter à cheval, être servis par une Mademoiselle et vérifier les effets de la consanguinité, faites comme moi, entrez dans la niche au blason.
Mais si vous préférez d’autres valeurs, ce dont je ne doute pas, évitez la niche, ça pue un peu, des siècles que personne n’y passe le Karcher…
Princesse je suis restée, Minnie, reine dans mon royaume de roturiers au cœur noble.
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