lundi 7 février 2011

Lola et les idées reçues


De façon consciente ou pas, certaines images s’associent à des situations. Nous faisons tous ça, ce n’est souvent pas très important.
C’est parfois relayé et renforcé par ce que nous en voyons au cinéma, ce que nous en lisons en presse ou en littérature, ce que nous entendons dans certaines chansons.
Un catalogue des idées reçues, anodin, auquel nous réfléchissons bien peu, à la hauteur de son importance en fait.
Dans une des pages de ce catalogue, chapitre maladie, rubrique traitements, sous paragraphe chimiothérapie, il y a cette image de chauve qui vomit au dessus d’une cuvette des toilettes.
Si, ne le niez pas, l’image c’est ça.
J’avais cette vision.
Dans mon métier, rien ne m’effraye, le sang, les urgences, les interventions catastrophes, les réanimations vacillantes, ni ce qui peut sortir d’un corps humain. Sauf…. Sauf, les vomissements.
Celles qui travaillent avec moi savent comme je peux courir très vite dans une direction opposée lorsqu’une patiente me dit, les joues gonflées, les yeux exorbités, la main retenant les restes de son dernier repas, copieux, inévitablement « cheux fais vomir ».
Mes enfants ont eu la délicatesse de ne pas vomir trop souvent, délicatesse née de quelques réactions excessives face à leurs jets gastriques qui ont pu les faire douter de l’amour de leur petite maman chérie, à juste titre.
Plus que l’annonce d’une calvitie inévitable, à l’annonce de mes premiers traitements, c’est cette histoire de vomis qui me contraria.
Soyez rassurés, continuez à me lire, je n’ai jamais vomi.

Mais chauve, je le fus…

Puisque j’ai décidé de partager avec vous certaines expériences, alors qu’évidemment vous ne m’avez rien demandé, je vais vous raconter des histoires de cheveux, mes histoires.
Car chauve, je le fus deux fois et je le suis en ce moment. Il faut me reconnaître cette légitimité.
Les deux premières fois, j’avais anticipé.
Imaginant qu’il serait moyennement agréable de me réveiller sur un oreiller velu, de boire un café au lait aux cheveux, je les ai rasés.
L’exacte vérité : j’ai demandé à être rasée.
Et là, il me faut remercier l’équipe de France de football gagnante en 1998. Surtout Barthez, le gardien de but chauve qui a décomplexé des générations de garçons au front dégarni, dopé les ventes de tondeuses et équipé quelques uns de mes amis.
Ainsi, par deux fois, j’ai pu appeler à l’aide.

Certaines scènes de ma vie me semblent cinématographiques, c’est ce qui les rend supportables.
Assise, face au miroir, avec un ami équipé de sa tondeuse, il faut respirer un grand coup, fermer les yeux quelques secondes, comme une actrice avant une prise, puis lever la main, afficher un joli sourire et dire : c’est bon, on y va !
Ma réplique, de circonstance, ne fut pas très fine, mais elle nous fit rire alors que les cheveux tombaient en plaques et dévoilaient la forme de mon crane, parfaite au passage mais j’y reviendrai.
Ma réplique : « j’ai bien couché avec un allemand mais c’était il y a longtemps et hors occupation » nous a fait rire donc.
Ma première calvitie, un apprentissage, je pensais que ce serait la seule, je pris le tout comme un passage, une aventure.
J’en profitais pour agrandir mon dressing d’un nouveau rayon, le rayon foulards et entrepris avec succès de les coordonner à mes tenues.
Coquetterie quand tu me sauves.

Il y eut des moments très amusants, pour moi surtout, lorsque je réalisais que la personne en face ne réalisait pas l’usage des dits foulards.
Un médecin du travail notamment, qui manquait à ma collection de blouses blanches.
Il eut beaucoup de difficultés à faire le lien entre les molécules que j’annonçais prendre et les foulards. J’ai peu d’estime pour ces médecins, ayant pu juger leur ignorance en nombre de domaines. En vraie chieuse, à la question prenez vous des médicaments, je me suis donc amusée à citer les molécules mais pas leur indication et ne le voyant pas ciller en notant le nom que j’épelais, j’ai dévoilé mon crane parfait.
Gloups du médecin.

J’ai traumatisé un gros lourd dragueur mais du genre un peu dangereux tout de même qui nous accosta alors que je marchais avec une amie dans un quartier peu recommandable, en une fin de soirée d’été.
Si l’amie en question n’avait pas eu des jambes d’1m20 juchées sur des talons, il est raisonnable de penser que ma seule robe n’aurait pas suffit à arrêter son regard.
Nous peinions à nous débarrasser du lourd, qui commençait à faire des signes à son groupe, en nous demandant si mieux qu’un verre nous voulions de la drogue. Non, non dit mon amie, nous ne nous droguons pas, si, si dis je. Elle comprit en un quart de seconde ce que j’allais faire. Je ne fume pas d’herbe, je ne prends pas d’héro, moi c’est chimio lui dis je en découvrant mon joli crane.
Gloups du gros lourd, et demi tour avec un « faites attention à vous hein ! ».

Il n’y a pas de petit plaisir.

Il y a un réel bonheur à laisser l’eau couler sur une tête lisse, et un vrai gain de temps à ne plus se coiffer le matin.
Je réalisais les sommes indécentes engagées dans l‘industrie capillaire, à m’agacer devant des boucles hydratées, des épis domptés, des chignons figés, des carrés teintés, des dégradés méchés.

Ma deuxième calvitie.
Pas encore la routine, mais pas loin.
Cette seconde fois, j’avais décidé de profiter différemment d’un nouveau look.
Perruque.
Les autres malades, les femmes, ont presque toutes la même perruque. Une coupe courte, une couleur fadasse, un truc qui tourne un peu, c’est moche.
Dans la boutique de perruques, je l’ai essayée, ai pris 20 ans dans le miroir et cru reconnaitre ma tante Vivianne, si vous aviez….
Alors j’ai choisi ce que je n’aurai jamais. La coupe rêvée, glamour au possible, tout sauf discrète.
C’est ainsi qu’est entrée dans ma vie celle que j’ai surnommée Lola.
Une coupe de danseuse du Crazy.
Lola, donc.
Lola est exigeante, elle ne se satisfait pas d’un jean et d’un tee shirt. Il faut assumer ce genre de choix.
Lola, rouge à lèvres, jupes, talons, et attitude coordonnée.
C’était un déguisement mais à tenter si fort de paraître, je finis pas être, un peu.
Lorsque je posais Lola, je me transformais…


Parfois Lola a piqué ma jalousie. Nombre de commentaires flatteurs, me semblaient liés à une imposture. Certes cette frange nette, ce carré strict convenaient à mon visage, mais c’était un déguisement, rien d’autre.
Parfois Lola a pimenté mon quotidien, envolées les habitudes polies, le bonjour à la voisine, personne ne me reconnaissait !
Impossible d’être essoufflée, fatiguée, Lola n’attirait pas la compassion.
Parfois elle m’a occasionné quelques frayeurs, peur de la perdre au fil du vent, peur de la voir rester dans les mains d’une patiente agrippant tout ce qui est à sa portée pour supporter les contractions (il y en a, j’en ai conservé des hématomes sur la fesse droite pendant quelques semaines, il y a des années).
Parfois Lola m’a fait mentir.
Un chauffeur de taxi qui m’emmenait vers ma chimio matinale, très matinale, s’enquerrait de mon métier, celui qui me faisait me rendre si tôt dans une clinique. Son regard à voir Lola, sa robe moulante, ses talons, son rouge carmin et son parfum ambré, l’enthousiasme qu’il avait mis à entamer la conversation, je ne pouvais pas lui dire la vérité. Alors j’ai dit que j’étais chirurgienne cardiaque, que j’allais sauver un cœur, ho bien sur ça semble impressionnant, mais c’est mon quotidien vous savez. Il était ravi. Ensoleiller la vie d’un chauffeur de taxi en lui faisant croire qu’il existe des femmes sexy et au métier si prestigieux est gratifiant….

Lola donc, à qui j’ai dit au revoir, je me méfie des adieux, un jour de printemps pour sortir exposer mes nouveaux cheveux et souffrir un peu moins de la chaleur.

Précision importante sur une légende : non, les cheveux ne repoussent pas plus forts, plus jolis et bouclés. Les miens ont repoussé à l’identique, mais j’ai cessé de me plaindre de leur finesse, de leur raideur, de leur blancheur, je les aime. Pour de vrai, tels qu’ils sont, quand ils sont là.

Deux changements de look en deux ans, je pensais en avoir terminé des : mais si c’est moi, oui j’ai changé de coupe, etc etc…

Troisième calvitie. J’ignore d’où vient cette expression « jamais deux sans trois »…..

Sottement je n’avais pas anticipé cette étape. Les avis des blouses blanches étant contraires, il semblait y avoir une chance pour que cette coupe de garçonne résiste, j’avais décidé d’y croire. Je me disais que j’aurai de la chance, que j’échapperai à cette fatalité, puisqu’il y avait une chance ce serait la mienne.
Erreur, je ne peux avoir tout le temps de la chance, ce serait indécent.
J’ai expérimenté l’oreiller velu et tout le reste.
Dans l’image de chauve sous chimio que nous avons tous, il faut préciser une étape, le passage.
Dans les moments de solitude, il y a ces longues minutes, formant des heures, pendant lesquelles il faut s’éplucher, enlever ces cheveux qui ne tiennent plus, au risque de les semer un peu partout sur son chemin. Passage délicat, mais effectué.
Qui mieux que moi pour savoir que ça repousse a déclaré un de mes fils, pas faux, j’attends la repousse donc.

Mon crane parfait, je vous avais dit que j’y reviendrai. La bucheronne aux mains de maçons m’avait balancé un « vous avez une très jolie tête à chimio », me faisant croire que le casting était bien fait, que mon visage pouvait supporter l’absence de cheveux.
En effet, je suis très fière de la forme de mon crane, ainsi que d’un grain de beauté en occipito pariétal, dont j’ignorais l’existence.


Nous avons tous un catalogue d’idées reçues…..
La brune est piquante, la blonde diaphane, la rousse volcanique, mais la chauve ?
La chauve est frimeuse, provocatrice, jolie d’une certaine manière, économe en shampoing, accessoirisée, intrigante, mais jamais courbée au dessus des toilettes. La chauve a son quand à soi…

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