jeudi 13 janvier 2011

Il y a....


Il y a d’abord ceux qui parlent grade de tumeur, centimètres et pourcentages de survie après 5 ans, ceux là, au début il est difficile de les croire, juste envie de leur demander où sont les caméras et qui a eu l’idée de cette sale blague. Parce que des potes assez cons pour faire ça on en a bien sur, hein ? non, ha bon, non.


Il y a parfois ceux qui téléphonent pour avoir des nouvelles, avec ce ton enjoué du « salut, ça fait longtemps, alors quoi de neuf ? », alors on leur dit quoi de neuf et ils ne rappellent jamais. Ceux là, peu nombreux, on ne les regrette pas, on ne leur en veut même pas.

Il y a celle qui vous dit « chacun sa merde » et c’est justement ça qu’on veut entendre, chacun sa merde ça veut dire qu’on n’a pas le monopole de la misère, du malheur, ça veut dire que ce n’est pas si grave et on redevient quelqu’un de normal, comme les autres.

Il y a celui qui arrive un jour avec sa tondeuse pour raser ces cheveux qui tombent par poignées, et qui vous jure que vraiment on est trop belle tondue, qui vous regarde avec de tels yeux que alors oui on le croit, on est belle. Mais pitié qu'on arrête alors de me parler de Sinead O Connor, je n’aime pas cette chanteuse, elle me saoule.


Il y a les Paulo Coelho istes, qui vous jurent qu’après la vie va nous sembler différente, qu’on aura enfin appris à relativiser, qu’on va gagner en optimisme et peut être même sa place au paradis ; alors ceux là on leur répond qu’on savait déjà relativiser, que notre vie était parfaite avant ça, qu’on connaissait déjà l'essentiel et que le paradis non merci, ce qu’on veut c’est que l’enfer en bas s’arrête, en ajoutant : bordel de dieu (pour être certaine qu’ils ne le diront plus).


Il y a les autres malades, croisés forcément puisque le service de chimio trouve intelligent de nous ranger en demi-cercle pour surtout ne pas rater le spectacle de leur douleur. Alors on se découvre égoïste, égoïste de ne pas vouloir les voir, égoïste de se rassurer en les constatant plus atteints, égoïste de ne pas leur parler, comparer nos états, au nom d’une solidarité utopiste. On les trouve moches, puants, inquiétants, on ne les aime pas, c'est comme ça.

Il y a ceux qui vous disent comme c’est joli ces foulards avec un petit ton compassé, et à qui on répond crânement que les cheveux aussi ça faisait joli.
Il y a ceux qui vous disent comme c’est joli ces foulards avec un ton qui montre qu’ils ne saisissent pas leur utilité, alors à ceux là on répond crânement que oui c’est joli.
La perruque indécente qu'on s'achète pour avoir enfin ce carré impeccable et glamour qu'on n'aura jamais au naturel.

Les sous vêtements, robes décolletées et bustiers qu'on garde dans le dressing même si, bien que, pour quand, et alors ?

Il y a les chiants qui se croient obligés de vous rappeler que le moral c’est 50% de la guérison et si j’ai doublement le moral ça marche mieux ?, les effrayés qui ne vous approchent plus, peur de la contagion, les innombrables médecins à qui il faut montrer ses seins et leur filer des honoraires en plus, ceux qu’on n’aurait jamais imaginés présents, ceux qu’on aurait jamais imaginés vous aimer autant, ceux qui ont toujours eu dans leur entourage quelqu’un qui et qui a fait comme si et tu devrais ça, ceux qui vous disent c’est comme moi, j’ai une angine terrible.

Il y a ceux qui draguent, expriment leur désir, et à qui on a juste envie de dire que mieux qu’une proposition sexuelle on serait capable d’épouser le premier homme qui viendrait nous préparer une compote de pommes parce que là c’est juste ce qu’on voudrait manger et qu’il n’y en a pas. Mais il faut croire que la compote de pommes est plus difficile à faire qu'un 69.
Celui qu'on voit excité à l'idée qu'en plus des cheveux on perd les poils, tous les poils...

Le banquier qui du jour où il remarque les virements sécu, les faux cheveux, annule l'autorisation de découvert et prévient que tout prêt désormais est pure utopie.

Il y a celles qui en comprennent pas qu’on ne se comporte pas en malade, que l’on porte des robes légères, des jupes courtes, du rose et des fards, celles qui n’aiment pas qu’on se comporte en fille et pas en cancéreuse standard. Ben oui pour rassurer les braves gens il faut leur montrer un peu de malheur, pour qu'ils puissent se dire dans leur petite vie qu'ils ont de la chance.
Il y a aussi celle qui rase les engueulades passées et stériles, qui revient malgré les malentendus parce qu'elle se concentre sur l'essentiel, l'amour. Celle qui envoie des cartes à paillettes avec des fées, des fleurs et des phrases encourageantes pour que j’aie autre chose à ouvrir au courrier que des bilans sanguins, des relevés de sécu et des relances bancaires.

Les curieux qui demandent c'est dur ? Et qui croient qu'on va leur expliquer en détail ce que font des mois de chimio, alors je leur réponds que non, même pas mal.

Les optimistes qui demandent si j'ai envisagé ma mort, en imaginant sans doute que comme eux je me crois immortelle.
Les admiratifs qui s'exclament quel courage alors que sincèrement si j'avais eu le choix j'aurais fait une entorse, parce que au fond je suis lâche, peureuse et paresseuse.
Le crétin qui téléphone pour dire "t'as vu Bashung est mort", toi ça va ? Ben oui je prépare un album et une tournée.
L'imbécile du bloc opératoire qui dit "elle en fait une tête la petite dame" (cette manie du personnel hospitalier de nous appeler la petite dame) alors qu'on va perdre une partie de nous même dans 10 minutes, regarde le dossier connasse, ben quoi ?
Les enfants qui finissent par s'y connaître à fond en chimio, rayons, scanner, devant qui il faut rester droite parce que c'est ce qui compte pour eux, pour ne pas avoir peur.
L'esthéticienne a qui on demande une réduction pour un soin demi buste juste après lui avoir acheté un mascara alors qu'il reste deux cils sur la paupière droite.

Et tous ces blogs qui parlent du crabe, qui racontent les effets secondaires qu'on n'a pas encore eu, sur lesquels on navigue et dans lesquels on finit par couler.

Les combats courageux des célébrités en une de Paris Match, et la mère de famille célibataire alors ? Pas de une pour elle ? Ha si, si elle est bien médiatique, du genre à poser avec ses cinq enfants, un teint jaune, des cernes noires pour contraster avec le titre en rouge bien gras : « elle prépare son départ et l’avenir de ses enfants ».

Le héros, celui qui tient ma vie dans ces mains, qui me téléphone tard le soir, les jours de mauvaises nouvelles, alors qu'il devrait aller retrouver sa famille. Mon héros qui dit être combattif sur mon dossier, qu'il y a des solutions, des espoirs, superman, batman, spiderman et action man concentrés en un oncologue.

Alors oui je me plains de la vie, que j'aime tant, je me demande quelles fautes j'ai pu commettre dans mes vies antérieures, ai je dénoncé des juifs, vendu Jeanne d'Arc aux Anglais ?
Je voudrais qu'on me donne une raison à tout ça parce que le pas de bol est inacceptable, et surtout sans solution.
Et surtout je voudrais me plaindre parce que c'est chiant, c'est long, ça fait mal, ça fait peur mais qu'il y a d'autres façons d'en parler, qu'on peut en rire aussi, qu'on peut lutter avec des mots.

Ce que j'écris est sans doute difficile à lire, mais s'il vous plait, ne le prenez pas mal, ne le prenez pas trop, et pourquoi pas trouvez un moyen de rire avec ça, contre ça, avec moi.
C’est chiant une cancéreuse, ça se croit tout permis à force de se dire et alors ? Pourquoi pas ?

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