dimanche 30 janvier 2011

Les autres....


Dans les deux articles précédents, vous avez suivi mon entrée dans la grande famille du cancer et découvert quelques nouveaux personnages.
Les blouses blanches.
Je refusais l’idée que cette histoire m’apprenne des choses, sur moi, sur la vie, cette épreuve qui transcende, ce concept judéo chrétien bien ancré encore en nombre d’entre nous.
J’ai résisté, longtemps, j’ai fait « comme si », j’ai réussi, presque, jusqu’il y a peu, je vous raconterai.
Ce que j’ignorais c’est à quel point j’allais en apprendre sur les autres malades.
Voilà donc mes nouveaux personnages, les cancéreux.

Passer du côté des soignants au côté des souffrants, est extrêmement instructif. La blouse que l’on porte nous isole, quelque soit la compassion, l’implication que l’on mette à son exercice.


Les campagnes de certains organismes de lutte contre le cancer sont parfois très bien faites. Curie en a sorti une qui disait : « une personne sur deux au cours de sa vie sera atteinte par le cancer ».
Le casting est large… C’est une forme de socialisation, aléatoire, non décidée.
C’est ainsi que j’ai rencontré les autres….

Tout commence par la salle d’attente, attente de tout, je me suis déjà expliquée sur le sujet.

Je n’oublierai jamais cette dame, la cinquantaine épanouie (physiquement épanouie) qui est venue s’assoir à côté de moi lors de mon premier rendez vous avec l’oncologue.

Ha oui, l’aparté habituel.
On dit Oncologue, parce que ça fait moins peur que Cancérologue, comme on dit service d’orthogénie parce que ça fait moins sale qu’IVG.  Les mots ont un pouvoir. Il est possible que ça fasse plus professionnel également.
Au passage, je ne supporte plus d’entendre que tel ou telle célébrité est partie des suites d’une longue maladie…. Cancer c’est un gros mot ? Il donne des aphtes ?
Bref.

L’expérimentée…
La dame un peu grasse, me semblait particulièrement à l’aise, saluant les secrétaires, prenant ses aises, deux chaises, une pour son manteau bleu marine (Neuilly souvenez vous) et son sac Longchamp du même ton. Je feignais de l’ignorer mais elle ne cessait de déborder de son fauteuil.
Comme certains goujats au cinéma qui se croient autorisés à prendre les deux accoudoirs. Il devrait y avoir une loi définissant l’accoudoir qui nous est attribué, ou mieux encore, il devrait être possible d’acheter des tickets, accoudoir gauche, accoudoir droit.

Je commis l’erreur de lever le nez de mon Madame du Figaro, elle n’attendait que ce signe pour me lancer un : « c’est votre premier ? ».
C’est mon premier ? Je n’ai pu éviter de jeter un bref regard vers mon ventre, moulé dans ma petite robe rose vif, mon amure, pour vérifier que brusquement je n’avais pas été fécondée et que je ne m’étais pas trompée d’étages avec un obstétricien.
Tout en me disant que l’obstétricien devait être gynécologue et qu’elle venait traiter ses vapeurs de ménopause, à contempler son visage rouge.
Mon premier quoi ? Ben cancer dit elle !
Mon premier cancer, avouais-je comme une pucelle, une novice.
Ben moi c’est mon troisième ! Voilà qui est rassurant n’est ce pas ? Voilà qui est intelligent ! Merci la grosse de me faire réaliser que ça peut revenir… Qu’est ce qui passe dans la tête des gens ?
Elle m’a bien sur raconté par le détail ses trois cancers, sur deux seins, celui de sa fille aînée, pour le cas où j’aurais oublié que ça pouvait être héréditaire… Mais j’ai replongé vite fait dans le Madame du Figaro, c’était moins pire.


Le groupe….

Ce fut une des rares fois où j’ai cru faire demi-tour. Le groupe du service de chimio…
Imaginez une rotonde avec répartis autour des petites cases avec des fauteuils et des malades dedans (les fauteuils et donc les cases).
Là en poussant cette porte, malgré la robe rose ou le maquillage, malgré ma bravitude, malgré toutes les résolutions, j’ai pris de plein fouet mon cancer, et celui des autres dans la foulée.
Jaunes, cernés, avec des couvertures, des casques réfrigérés (je vous expliquerai) l'air triste, limite condamnés, et vieux. Les autres malades.
Dans cette clinique il n’y a pas de pédiatrie, je n’avais pas à croiser d’enfants malades, chauves, d’enfants cancéreux, alors je me suis trouvée lâche, et j’ai filé m’installer dans mon fauteuil.
Après ça passe faut juste oublier où on est.
J'ai imaginé un transat au bord d'une piscine, avec cocktail dans un verre plutôt que dans la perf (rouge au passage) les vacances avec mes fils chéris (qui m'avaient fait une lettre à lire pendant la perf que ça m'a fait piquer les yeux d'un coup).

Mais dans les groupes, il y a parfois des éléments différents…..

Un vieux Monsieur retraité, je m’assieds à côté de lui.
Rapidement, comme il semblait s’ennuyer autant que moi, et me trouver un peu différente, visuellement tout du moins,  il entamait la conversation.
Il est où le votre ? Renseignements rapides pris sur notre localisation pathologique, nous passâmes à des sujets plus intéressants.
Il est devenu mon copain de chimio.
Comme à l’école, il calait ses rendez vous sur les miens, et me disait, le premier arrivé garde la place à l’autre ? Lorsque j’arrivais, il me faisait de grands signes, avait étalé ses affaires sur le fauteuil voisin et me souriait si largement que j’avais l’impression de venir prendre un thé avec un ami.
Il est médecin anesthésiste à la retraite, j’en appris beaucoup sur les débuts de la péridurale,  féru de littérature, ce qui nous permis quelques échanges.
Il a ce côté délicatement suranné des vieux messieurs à la bonne éducation, de jolies manières, des expressions désuètes et un œil qui frise lorsqu’il ose un compliment en demie teinte pour dire qu’il me trouve jolie.
Il parle de son épouse en disant Madame son nom de famille, ses enfants à la réussite brillante, ses vacances en Corse dans les années soixante.
Jamais une plainte sur les traitements, jamais une crainte sur l’avenir, mon copain de chimio.


La frimeuse….

Celle là, je dois avouer qu’elle m’a bluffée. Je l’ai croisée dans un véhicule, on dit ça pour un taxi conventionné où s’entassent les patients, qui nous emmenait en radiothérapie.

Je sortais du travail, passais prendre ma dose de rayons, dans les embouteillages de fin de journée, après la demie heure d’attente réglementaire avant les deux minutes de traitement, afin de pouvoir rentrer chez moi, préparer le dîner, passer un peu de temps avec mes enfants et tenter de gérer un peu les tâches de la bonne ménagère que je voulais rester.
Une journée reposante.

Elle, soixante dix ans tassés,  se plaignait de tout. Elle avait mal dormi pendant sa sieste, son mari n’avait pas pensé à acheter ses yaourts préférés, ses cheveux ne repoussaient pas assez vite, elle voulait retrouver sa féminité, elle trouvait que quand même ça brulait un peu les rayons, et sa femme de ménage prenait des vacances.
A ce stade de la rencontre elle m’était déjà très sympathique.
Question habituelle venant de la dame : il est où le vôtre ? Je gardais mon calme et répondis au sein gauche.
« Pfffff » fit-elle, « comme tout le monde, moi le mien il est à droite, c’est beaucoup plus rare ! »
Que dire ? Je l’ai largement félicitée….

La « chouineuse »….
La larme à l’œil en permanence, qui découragerait un régiment de héros ordinaires.

La « mal fagotée »
Parce que lorsqu’on est malade il faut le montrer, donc survêtement, pantoufles et pull informe. Et grimaces devant mes talons, mes jupes et mon maquillage.

Le râleur…..
C’est toujours un retraité, qui n’a rien à faire d’autre de ses journées, qui râle parce qu’il attend dix minutes avant d’entrer en chimio, qui râle parce que l’infirmière ne vient pas le débrancher assez vite, qui râle donc.

Le presque chauve…..
Façon Giscard d’Estaing, avec une mèche qui traverse son crâne. C’est toujours celui là qui tient à sa mèche. Alors que moi j’ai admis perdre mes cheveux, refusé de m’y accrocher (mauvais idée ils partent de toutes façons), lui, il y tient.
Pour ça il enfile le casque. Je vous avais dit que je vous expliquerai.
Le casque réfrigéré. Ce casque ressemble à celui de la coiffeuse de ma mère, dans les années soixante dix, bleu, il servait à la mise en plis. En chimio il est réfrigéré, il faut se mouiller les cheveux avant, les trois cheveux, et enfiler un casque glaçon. Un énorme glaçon pour couper la circulation capillaire et éviter que les produits ne passent.
Jaune avec un casque bleu glacé sur la tête, frissonnant, pour conserver trois cheveux ? Pourquoi ?

La teigne…..
Qui juge, peste, râle, se croit plus forte que les autres. Qui résiste avec ce qu’elle peut, ce qu’elle a, qui refuse de prendre tout ça au sérieux et fait des blagues pas toujours très drôles. Moi,  en somme.
Moi qui ai appris que le cancer ne rend pas solidaire, n’unit pas.
Moi qui ai pu constater que le cancer ne fait que révéler ce que nous sommes en réalité, sympathiques, peureux, gentils, moches, beaux mais surtout malades.
Moi au milieu de tout ça, à me demander ce que je fous là, au milieu des autres….  La râleuse au milieu des cancéreux….

1 commentaire:

  1. C'est mieux ici ! il y a l'image (que j'adore, tu penses !!) et le libellé qui me faire rire... Tu deviens pro du blog.

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