vendredi 21 janvier 2011

Les blouses blanches

Vous m’avez quittée entre les mains calleuses d’une bucheronne et j’avais promis de vous raconter mes rencontres. Les rencontres occasionnées grâce à cette boule.

Les blouses blanches….
  
Le premier médecin dont je me souvienne, notre médecin de famille, se nommait le Docteur Lamaison.
Attention, je vous vois venir, n’oubliez pas ma promesse, uniquement des souvenirs, jamais de mensonges, je vous raconte ma vie.
Enfin, des petits bouts, tout n’est pas racontable, et à me relire je constate aisément que tout n’est pas intéressant.
Et bien oui, mon premier Docteur, c’était le Docteur House ! Version française des années 70, sans cane, mais un bon foutu caractère.
Le Docteur Lamaison qui prit en charge mes otites récidivantes, ma varicelle, mes entorses de danseuse classique hyperlaxe, et qui se chargeait de me déloger de dessous mon lit lorsqu’il fallait me vacciner à domicile. Une petite peste de 25 kg hurlant sous un sommier ne lui faisait pas peur.
Il avait de gros sourcils broussailleux, et un certificat de gynécologie. Peu à peu, je grandis, me rendais seule dans son cabinet. Je pense que ma passion pour l’obstétrique vient des gardes qu’il me racontait, d’une reproduction d’un bassin osseux féminin posée là sur son bureau, et du temps que j’ai passé à le contempler me posant toujours cette question : comment ça passe par là ?
Dernière anecdote de mon Docteur House à moi, lorsqu’à 21 ans je lui ai demandé timidement une ordonnance de pilule, il eut l’air si triste, et a déclaré, « je savais que ça arriverait un jour» (moi franchement je commençais à en douter) et j’espère qu’il te mérite (moi à ce moment là je le croyais).
Un vrai médecin de famille.

Ensuite, début des études de Sage Femme, ballet de blouses blanches et de ce que je peux appeler mon opinion sur les médecins.
C’est très simple.
J’en ai rencontré qui avaient cette admirable vocation, pour qui soigner voulait dire quelque chose.
J’en ai rencontré qui avaient  un incroyable sens clinique, qualité rare, croyez moi. Savoir lire un bilan, prescrire des examens complémentaires, est chose facile. Réaliser un examen clinique est un art.
J’en ai rencontré qui avaient un sens du contact inouï, une écoute et une approche formidable.
J’en ai rencontré de très jolis, mais vraiment très jolis à regarder, du genre qui vous change une garde de 24 heures. Le plaisir des yeux n’est pas un concept masculin.
J’en ai rencontré des consciencieux, des concernés, des qui doutent toujours d’avoir pris la bonne décision, des fiables, des courageux, des impliqués, des qui soutiennent les équipes, des que l’on peut réveiller à 3 heures du matin et qui débarquent de suite, j’en ai même rencontré qui apportaient les croissants à l’équipe de nuit et qui saluaient les femmes de ménage.
J’en ai croisé un qui avait tout ça, un seul.
Mais les critères sont précis, bien d’autres en validaient plusieurs.

Mais pas que.
Il y a de bons et mauvais plombiers, garagistes, maraichers ; il y a de bons et mauvais médecins. Les années d’études n’apportent pas les qualités humaines indispensables selon moi, ni les aptitudes manuelles.


J’en connais qui n’auront jamais de sens clinique (pas dans ce sens ce forceps !) d’adresse chirurgicale (et encore un uretère de touché pendant une césarienne) le sens du contact (pas étonnant que ça suppure, la graisse est mal vascularisée, t’as vu la baleine) (la baleine a entendu, elle).


Bref, j’en connais de toutes sortes, alors imaginez mon état quand j’ai compris que je passais de l’autre côté du bureau pour un bon moment.

J’ai un principe, j’en ai plusieurs en fait je suis parfois un peu psychorigide, je ne fais pas confiance, jusqu’à preuve du contraire. Principe qui s’applique aux médecins, comme aux garagistes, aux hommes, aux avions. Oui, l’avion, c’est sans rapport mais une telle phobie, je n’ai confiance en un avion que lorsque j’en descends indemne.

Le souci avec la boule, c’est  qu’elle me laissait peu de temps pour établir une relation de confiance.

La bucheronne donc, m’examine, façon essorage de machine à laver réparée par Darty (cf mon article le comparatif livreurs) et m’assène un « je suis confiante ». Aussitôt suivi d’un « dès demain, biopsie ».
Avouez que pour rassurer, lorsque l’on sait que le lendemain est un samedi et que malgré 4 appels à des confrères radiologues et anatomo-pathologistes, je n’obtiens de rendez vous que le lundi, pour rassurer donc, il y a plus efficace.

Mais bon, j’ai de la chance, je vis à Paris, j’imagine qu’au fin fond du Larzac ce doit être bien pire.

Et surtout j’ai de la chance, je suis Sage Femme, j’ai donc des médecins dans mon répertoire qui m’orientent, me recommandent, font une sorte de premier tri, passent des coups de fil pour que je sois rajoutée au planning des consultations. Je suis une veinarde, je vous le dis.

Il y a un détail que je dois vous raconter, mon aparté habituel.
Biopsie du sein, prélèvement de plusieurs carottes. C’est le mot, des carottes prélevées par un instrument dont j’ai oublié le nom et que je n’ai pas vu, j’ai fermé les yeux comme une lâche. Mais ça ne fait pas mal, non non non non…
Il faut une petite semaine pour obtenir les résultats. Pas dans mon cas. Trop simple.

En 30 ans de carrière la bucheronne n’avait jamais vu ça, plus de deux semaines pour obtenir un résultat. J’ai eu droit à un coup de téléphone, m’annonçant qu’il était possible que j’ai une tumeur rarissime (4 cas connus dans le monde) mais bénigne. Mes lames (les lames contenant mes tissus suspects) étaient envoyées à Londres, Milan et je ne sais plus où.
Au stade où j’en étais j’aurais traversé la Manche à la nage, avec mes lames dans la bouche, sans combinaison, en plein mois de février.
J’étais d’accord pour faire toutes les émissions de télé, couvertures de magazines, même TF1 et Carole Rousseau, tout, tout pour avoir une tumeur rare.

Mais non, un cancer.
Au moins, je savais.

Et quand la bucheronne m’a déclaré je le savais dès que je vous ai examinée, je l’ai classée dans la catégorie des menteuses frimeuses. Je n’aime pas.

Il y a la catégorie des « trop impliqués ». Une radiologue par exemple.
Un jour elle avançait vers moi, avec une telle expression que j’ai souhaité très fort qu’elle venait d’enterrer sa mère. Sa mère va bien, la mauvaise nouvelle c’était moi.

La catégorie des « on vous expliquera ». Qui on ? Je pose des questions précises, ils n’aiment pas, faut pas poser des questions en plus…

La catégorie du « déshabillez-vous », or non, moi je ne me déshabille jamais devant quelqu’un qui ne m’a pas parlé un peu avant. Psychorigide je vous disais.



Ensuite, très vite, j’ai rencontré les deux principales blouses blanches qui me suivent, me soignent, me sauvent la vie depuis.
Le premier, le chirurgien, un homme rare, qu’en dire ? Je ne vous souhaite jamais d’avoir à le rencontrer bien sur mais savoir qu’il y en a des comme ça réconcilie avec le genre blouse blanche.
Le deuxième, je vous l’ai déjà écrit, c’est mon héros, et lui il est extraordinaire.

Simplement une de mes histoires avec lui :
Mon aventure avec lui a démarré par une consultation pendant laquelle il m’a expliqué mes traitements.
Je ne suis pas facile, donc pas une malade facile. J’avais décidé, m’appuyant sur un raisonnement médical assez bancal, que je ne ferai pas de chimiothérapie, j’en avais informé la secrétaire de mon oncologue.
Cet homme, qui commence ses consultations à 7 heures du matin, qui a une famille, m’a téléphoné à 23 heures et est resté plus d’une heure à m’expliquer en quoi c’était important de suivre ce traitement, pourquoi je devais le faire. Il disait, si je ne réussis pas à vous le faire comprendre ce soir, je recommence demain. J’ai compris alors, ce qu’il disait mais aussi qui il était.
J’ai mesuré ma chance. J’ai la chance d’avoir un médecin exceptionnel. Celui qui a toutes les qualités, oui oui, toutes, vraiment, en plus.


Est-ce que ça a changé mon exercice de blouse rose, je ne crois pas, mais ça a eu d’autres effets.

J’ai appris le sens du mot confiance.

J’ai pu vérifier qu’il y en a, que ça existe, le genre dont on parle sans en avoir vu réellement. 

Il y a des hommes qui ne défileront jamais sur les Champs Elysées en haut d’un bus un jour de juillet, qui n’auront jamais leur portrait sur une campagne d’affichage de parfum masculin, qui ne feront jamais rêver les adolescentes hystériques chargées d’œstrogènes, qui ne feront jamais de discours en recevant un prix sur scène.

Mais j’en connais, des héros, des vrais, ça réchauffe le cœur et éloigne le cancer.

Quand je vous dis que je suis une petite veinarde !....



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