vendredi 21 janvier 2011

La boule

La boule


C’est comme ça que je l’ai appelée d’emblée, chacun lui donne certainement un nom, ou pas, d’ailleurs. Moi ce fut la boule.




Parce que j’ai eu très tôt la chance de faire sa connaissance, dès son installation en fait. D’autres du même ordre, plus vicieuses, se cachent, j’ai pu le découvrir par la suite.
Au moins, la mienne, il faut lui reconnaître ça , elle s’est exposée assez vite.

La boule.
C’était un vendredi soir, d’automne, je m’en souviens parfaitement. Je devais sortir avec des amis, un restaurant dans mon quartier, il faisait encore doux.
En allant prendre une douche, avant d’enfiler ma petite robe de circonstance, je me plaignais.

Je n’étais satisfaite de rien. Ma semaine au bureau avait été longue, mes enfants n’avaient pas les meilleures notes, mes vacances étaient loin, mes cheveux avaient de mauvais plis, les factures s’entassaient, je n’avais pas les bottes, pardon, LES bottes, rien n’allait vraiment.
Pourtant.

C’est sous la douche, pardon de vous faire partager cette intimité, que nous avons fait connaissance elle et moi, au passage de mon gel douche préféré à la lavande de chez l’Occitane. Pour qui aime la lavande, un petit conseil, celle-ci est parfaite, pour qui préfère le miel, voir chez Nuxe, pour les bulles, je vous ai déjà expliqué.

La boule, logée dans mon sein gauche.
Pas si grosse, mais n’ayant rien à faire là. Etrangère, dure, indolore mais pas à sa place, c’était flagrant.

Dès le premier passage de la mousse, j’ai su, mais j’ai commencé tout de suite à faire comme si.
Comme si elle n’existait pas, comme si elle allait partir toute seule, comme si ce n’était pas réel, comme si quoi.

Mais elle a très vite fabriqué une copine, d’un autre genre, une pensée qui s’est logée dans ma tête. La boule du sein reliée à une idée dans mon cerveau qui se réveilla de temps à autre, régulièrement.

C’est également à partir de ce soir là que ma vie m’est apparue dans toute sa splendeur.
Envolées les angoisses de rides, les plaintes sur le célibat, les craintes de factures, les angoisses de retard, même mon travail me semblait agréable (et pourtant…).
Ma vie était géniale en l’état, je l’adorais, je ne voulais rien changer.
Je passais mon temps à lui parler (de la boule au cerveau, virtuelle, à la boule dure concrète), à lui demander de me rendre ma vie, que j’avais compris la leçon, que j’étais la fille la plus gâtée du quartier, que promis je ne serai plus jamais de mauvaise humeur sans raison, que je ne ferai plus que sourire.

Cette boule avait un pouvoir incroyable, c’était magique. Presque.

Les semaines suivantes, j’ai régulièrement vérifié sa présence, sous la douche bien sur, mais aussi dans la journée, quand je m’isolais.

J’ai développé des tas de techniques, dont vous pourrez apprécier l’efficacité.

La technique du « si je n’y pense pas, elle partira comme c’est venu ». Mais sa copine, l’autre, ne m’a pas laissé le loisir de la développer à fond. Par ailleurs je suis consciente de la puérilité de ladite technique. On appelle ça faire l’autruche je crois. Je fais mal l’autruche, moins bien que la princesse, l’albatros et la peste pour ceux qui me lisent.

La technique de l’horoscope ou du tirage des lames de tarots sur internet, avec subitement un passage de la rubrique amour à la rubrique santé. Je ne vous mens jamais, vous le savez alors deux évidences, je suis assez sotte pour avoir fait ça, et ne vous y fiez jamais, ce n’est pas avéré. Il doit y avoir des employés, virés des plateformes téléphoniques de la sécurité sociale, voir article en référence, vous dire leur compétence, qui tirent les lames du tarot incas sur internet, je ne vois que cette explication.

La technique toute aussi débile et inefficace du talisman. J’avais acheté sur un joli petit marché de haute Corse l’été précédent un caillou. Pardon, une pierre porte bonheur, qui allait m’apporter joies, équilibre et fortune. J’ai donc troqué mon diamant Din Vanh, contre un caillou noir avec un cordon en cuir qui déteignait et ne sentait pas très bon.
Vous dire parce que mon Din Vanh quand même…

Sur le même marché, si vous avez des euros à dépenser, achetez plutôt de la charcuterie, là au moins le résultat est garanti, c’est délicieux.

Afin que vous puissiez juger l’étendue de mon immaturité, sans vous lasser, je passerai rapidement sur mes « et si… alors », si le métro arrive avant une minute, si le feu passe au vert avant je ne compte jusqu’à 15, si le cordon rose que j’ai autour du poignet se brise (ruban rose vous voyez l’image ?) alors la boule va s’en aller.
Alors, non.

Vient enfin la première acceptation, la première fois où l’on ose parler à quelqu’un de cette boule.
Quelques soient les circonstances et les lieux, de la première à chaque personne à qui on va parler de cette boule par la suite, la seule chose que l’on aura jamais envie d’entendre et que je n’ai jamais entendu est : ce n’est rien.

C’est pour ça en réalité que j’en ai parlé, pour que quelqu’un me dise : ça n’est rien, arrête ton cinéma.
J’en ai parlé en commençant par, tu vas rire, te moquer de moi, je sais que c’es idiot mais un truc m’inquiète.
J’en ai parlé, pas un ou une ne m’a répondu : ça n’est rien.

Un matin, en me réveillant, j’ai ouvert les yeux, deux fois. J’ai pris mon courage, mes responsabilités de mère de famille, mon téléphone et j’ai pris rendez vous avec le premier professionnel qui allait évaluer ma boule.
Le premier médecin.

J’ai choisi une femme, une gynéco, je ne pouvais pas savoir qu’il y avait des femmes gynécologues avec des mains de bûcheron pour la taille et des callosités de maçon.
Bien la peine d’être une sage femme aux petites mains délicates entretenues à grands tubes de crèmes hydratantes !

Là bien sur, j’ai fait mon cinéma du « vous allez rire, désolée de vous déranger pour ça » et elle, elle a fait son job de médecin, qui commence par l’interrogatoire.
Comme pour la police, l’historique de ton passé médical, pas la peine de tricher, serment d’Hippocrate, elle ne peut pas balancer.
Il faut tout nous dire à nous personnel médical quand on vous le demande. D’ailleurs lors de dîners certains ne se gênent pas pour nous balancer leurs histoires n’est ce pas ?

Je n’ai pas du tout aimé sa grimace, quand elle a appris que ma mère était partie, très vite et trop tôt d’un cancer du sein.
Oups le gros mot. Le sale mot. Laché…

Première chaise où mal assise je me sens si petite, première exposition de la boule.

Je vous raconterai bien sur, et vous le lirez si ça vous intéresse, les rencontres occasionnées grâce à cette boule. Elle m’en a fait faire des connaissances, elle me fit changer de statut, de vie, de côté de la barrière.

La boule.

Je déteste ce que je vais faire là, j’ai toujours fustigé les donneurs de leçon, bien ou mal intentionnés, je ne crois qu’au libre arbitre, vraiment je déteste mais, s’il vous plait :

Aimez votre vie, telle qu’elle est ou changez là, aimez vous tels que vous êtes ou changez ce que vous pouvez changer, mais surtout, surtout ne laissez pas une boule vous faire réaliser ça.

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