jeudi 13 janvier 2011

La distribution des rôles

Certains vont penser que je râle encore, que je m’agace un peu pour rien, mais puisque personne ne soulève le problème, il va bien falloir que je m’y attache.
Parce que très franchement, je suis convaincue qu’au moins une fois ça vous a traversé l’esprit.

Qui distribue les rôles ?
Qui ?
Qui est le responsable de ce casting tout nul ?

Même dans « Plus belle la vie » le partage est mieux établi.
Dans « Plus belle la vie » on sait tout de suite, dès l’apparition d’un nouveau personnage, ce qu’il va être. Ephémère ou récurrent, victime d’une mort atroce ou d’agressions diverses, le fils caché de celui qui est prêtre mais qui avant était dealer drogué et séropositif, on sait tout de suite, c’est cohérent.
Mais dans nos vies ?
Parfois c’est mal fait, c’est n’importe quoi, ça ne tient pas compte de nos compétences, de nos aptitudes, de notre physique même, ne dit on pas le physique de l’emploi ?, et encore moins de nos gouts, désirs et volonté.

Je dis bien parfois, parce que d’autres fois c’est bien fait, c’est peut être Besnehard qui a distribué les rôles, Jean Luc Moreau réalisé la mise en scène, Roger Harth les costumes  et Donald Cardwell les décors (ou l’inverse de toutes façons seuls nés avant 1975 vont comprendre…). C’est bien fait, ça coule tout seul, rien à dire.
Mais alors, d’autres fois…

Quelques exemples.

Un homme qui a tout, tout ce qui devrait  aider à rendre heureux pour le commun.
Toute sa famille est en bonne santé, lui aussi. Il est physiquement agréable, ça dépend des gouts féminins d’accord mais grand, brun, musclé, grandes mains, allure chic, forment une bonne base.
Il a visité chaque continent, possède un appartement vue sur Notre Dame, haussmannien, rénové par architecte d’intérieur, maison de campagne avec écuries (et qui dit écuries dit donc chevaux), piscine couverte, voilier, voitures de cylindrées et marques qui font rêver les garçons de tout âge. Il réalise ses rêves d’enfants, piloter des avions, des hélicoptères, il boit les meilleurs vins dans des verres en cristal de bohème etc etc…
Il est heureux ? Non ! Il ne l’est pas, parce qu’il ne sait pas l’être. N’est ce pas du gaspillage ?
Vous y croiriez vous dans un roman ? Vous lui donnez le rôle du veinard ?


Un autre exemple.
Encore un homme. Il est atteint depuis des années d’une pathologie bien pénible qui lui a couté une jambe. Et comme ça ne suffisait pas, il en a attrapé une autre, pour tenter de lui flinguer un organe vital.
 Il travaille souvent comme un forçat, un forçat assis d’accord mais durement. Il a des soucis d’argent, il vit en Bretagne (j’en frissonne, le pauvre), il a des tas d’ennuis, petits, gros, une voiture pourrie qui vient de le lâcher, il est presque chauve, ne possède pas de maison à lui puisque maladie longue durée et prêt bancaire, je ne vous refais pas l’adage, vous connaissez.
Il est heureux ? Oui ! Parce qu’il sait l’être. N’est pas ce pas un sous emploi ?
Ça vous convaincrait vous dans un film ? Vous lui donnez le rôle d’Alexandre le bien heureux ?

Une fille maintenant :
Moins de trente ans, mince, blonde, un  métier passionnant dans lequel il n’y aura jamais de chômage (allez accoucher sans nous Mesdames, pour voir…). Elle va se marier dans quelques semaines, a acheté un appartement, une voiture qui démarre au quart de tour, le rêve pour moi, sa famille va bien, ses parents l’adorent. Et elle se réfugie souvent dans la maison héritée sur les hauteurs de Porquerolles.
Récemment, elle me faisait part de son plus gros souci de la semaine, avoir cassé un de ses ongles en dégivrant le pare brise de sa voiture.
Elle est heureuse ? Non, jamais, elle ne cesse de geindre. Est-ce crédible ?
Dans une série américaine de filles, vous vous y attachez vous ? Vous lui donnez le rôle de Carrie Bradshaw ?


Une autre fille :
Elle a des fins de mois de plus en plus difficiles et précoces, elle récidive d’un cancer bien pénible, elle ne peut plus danser comme elle aimait, manger ce qu’elle veut et boire le martini de ses rêves. Elle a un travail physiquement un peu éprouvant (il n’y a pas que vous Mesdames qui vous fatiguez, figurez vous lors de vos accouchements), elle est célibataire, orpheline, a  un dégât des eaux dans sa cuisine. Elle est harcelée par le trésor public, un ex mari escroc, un père alcoolique et dépressif qui cherche encore à lui nuire.
Elle est heureuse ? Oui, vraiment, c’est la plus heureuse !
Dans une chanson de Raphaël, vous la voyez dans « la petite misère » ? C’est une tragédienne ?

Alors je sais exactement ce que vous allez me répondre, je vous voir venir :
Nous sommes maîtres de nos vies, le destin n’existe pas, l’aptitude au bonheur est à puiser en soi etc etc.
Ne me faites pas la réplique de ses touristes qui rentrent d’Afrique ou d’Inde en disant : « c’est dingue, ces gens qui n’ont rien et qui nous donneraient tout ! (sic) » ou encore « ils sont sales, crottés, en guenilles mais si souriants ces enfants des rues ».
Je ne suis pas sotte, je sais tout ça.
Je sais qu’il faut travailler sur soi, que le bonheur n’est pas forcément lié au scénario, qu’il faut le comprendre, se connaître patin couffin.
Je sais.
Mais quand même.
Ça ne vous arrive jamais à vous de dire à voix haute : « Ce n’est pas pour moi, ça ne ressemble pas à ma vie ça, je suis nulle dans ce rôle, filez moi un texte qui convienne à mon genre vous verrez comme je vais être époustouflante »
Quand même.
Il n’y a personne qui ne remarque les contre emplois ? Personne qui ne remarque la résistance des bons acteurs dans les mauvais rôles ?

Donc :
Puisque pour rappel, je ne suis pas si sotte, que j’ai mis quelques dizaines d’années à réaliser quelles étaient mes qualités, dans quoi j’étais la plus douée, heureuse. Autant de dizaines à balancer les poids qui m’encombraient pour réaliser tout ça et être dans ce que j’estime être mon rôle, celui d’une femme heureuse, joyeuse, qui ne peut s’empêcher de rire de tout et de tenter de tout faire joli, bref tout sauf une tragédienne malgré une vie parfois tragique, je vais vous confier un secret.

A chaque naissance, je prends le bébé contre moi, je lui parle un peu pour qu’il arrête d’hurler (le froid, le choc, la tête de ses parents parfois, la mienne aussi peut être) je le calme donc et je lui dis tout bas à l’oreille : « je te donne le rôle d’un être heureux » et cette autre que j’aime bien qui est la phrase principe de base de mon éducation : « deviens qui tu es ».

C’est toujours ça de fait. Non mais !

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