jeudi 13 janvier 2011

Les héros extraordinaires



Pour ceux qui me connaissent, vous n’ignorez pas que mon parcours professionnel fut atypique et que j’eus la joie de découvrir des milieux différents de l’obstétrique, avec des horaires convenant mieux à l’élevage, pardon l’éducation d’enfants en bas âge.
Parmi les différents et formidables métiers que j’ai eu la chance d’exercer, outre vendeuse de cartons qui me valut nombre de fois le commentaire : « c’est qu’elle emballe la demoiselle ! » venant de responsables d’achats ventripotents et libidineux, il y eut chef de projet sénior dans un agence de marketing opérationnel.
Entendons-nous bien sur les mots.
Le marketing opérationnel, après presque un an d’exercice, je l’ai quitté sans avoir exactement compris ce dont il s’agissait. Vendre très cher, à des gens qui n’en ont pas le besoin, quelque chose qui n’existe pas et qui ne servira à rien. C’est à peu près ce que j’ai compris.
J’ai tout de même pu enrichir mon vocabulaire d’expressions délicieuses comme :
Il faut closer ton édition à 10 boules. La boule étant à mille euros c’est déjà de la belle boule non ? Accompagné de la cohorte de Budg, Prod, Brieff, sexy (on dit sexy quand le produit est tout sauf sexy) trendy (le must étant de lancer un truc, n’importe quoi et qu’il devienne trendy).

Chef de projet, ça veut dire débrouille toi pour trouver le produit, le client, le montant et vite fait sinon je cite « des têtes vont tomber ». Chef veut donc dire responsable, coupable.
Chef de projet sénior, donc, c’est mal payé aussi, et précaire. Un peu comme stagiaire mais en version quadra.

Sénior, rien à voir avec le grade, c’est juste que tu es vieille. Dans ce milieu, passé 25 ans, soit tu deviens chef d’agence, et là tu peux avoir 40 ans, soit tu es vieille. Sauf que si tu as 40 ans et que tu es chef, il te faut de nombreux accessoires. La dernière Austin mini, la Smart est has been, une moto aussi grosse que tu es petit (mon chef mesurait 1m 70 il avait donc une Harley), des baskets Dior argentées (qui n’a pas vu un nain descendre de sa Harley avec ses baskets argentées n’a jamais ri), et bien évidemment un gros très très gros Apple, le plus gros de tous les ordinateurs, le plus puissant, le plus joli, même si on te voit plus derrière.

L’agence, très important l’agence, on ne dit surtout pas le bureau. Le quartier idéal étant central rive droite, le must la déco. J’ai rapidement compris pourquoi fallait closer tant de boules et surtout me suis si souvent réjouie de ne jamais avoir été invitée au domicile (pardon, loft, appartement Haussmannien tradi mais relooké, maison d’archi tendance) de mes chefs…
La déco donc, des pièces de Starck, attention Starck dans ses débuts surtout pas maintenant, de grands canapés de chez Missoni dans lesquels il ne faut jamais s’assoir, et des chaises pour chaque bureau de designer qui à mon sens ne doivent pas s’assoir souvent.
L’ambiance musicale, volume à fond pour que les prospects entendent bien au téléphone que tu es une killeuse du market, mais là mes oreilles en liaison directe avec mon cerveau ont interrompu la connexion qui relie les morceaux à la mémoire.
Et enfin, très très important, la luminothérapie des chefs, les diffuseurs d’huiles essentielles (le thym je ne l’utilise plus jamais dans mes recettes), les ionisateurs d’air, d’eau.
Ho bien sur, j’ai bien tenté quelques rebuffades, moi aussi je suis un peu crâneuse. Lorsque j’ai annoncé que Le Clézio ayant eut le Nobel de littérature, ça faisait de moi quelqu’un qui a déjeuné avec un Nobélisé. Mais la réponse « ha ouais le mec qui écrit dans le Figaro » me laisse encore sans voix.
Maintenant que le tableau est à peu près esquissé, imaginez-moi là bas quand vous n’avez pas le moral et laissez-moi en venir à l’objet réel de cet article.
Un jour, dans une agence, il y eut un brieff pour un nouveau budg, d’un prospect très très quali, sur un sujet à rendre sexy. Le client c’était l'Institut National du cancer (ça c’est très quali, institutionnel, ça paye), le brieff trouver une idée pour changer le regard sur le cancer, plus exactement les cancéreux.
Alors déjà le principe. Qu’est ce qu’on s’en fout du regard qui est porté sur nous ? Ce qu’on veut c’est guérir. Je l’ai moi la phrase qui change le regard elle est très simple :
« une personne sur cinq sera au cours de sa vie atteinte par un cancer »
C’est simple, et efficace non ? En voilà une phrase qui change le regard non ? Elle dit : ça peut être toi un jour.
Passons sur le principe, je vois d’ici la tête du chef de projet sénior qui tout fier de lui a pensé que nous valoriser allait nous flatter. C’est ainsi qu’est née cette expression : « les héros ordinaires ».
Définition de héros copiée collée :
Un héros (ou, au féminin, une héroïne) est un personnage réel ou fictif de l'Histoire, de la mythologie humaine ou des arts, dont les haut-faits valent qu'on chante son geste. Ces derniers, édulcorés par la légende dorée des hagiographes, sont passés dans la légende populaire.
Selon les cultures, un héros est un demi-dieu, un personnage légendaire, un idéal, un surhomme ou simplement une personne, faisant preuve d'abnégation.
Le rôle du héros se situe entre l'aspiration métaphysique, presque religieuse, de dépasser la condition humaine, notamment d'un point de vue physique et entre l'aspiration plus réaliste d'œuvrer pour le bien de la communauté, d'un point de vue moral. Un troisième rôle, moins avouable, est celui de propagande pour une idéologie politique ou religieuse notamment.
Par extension, le terme "héros" désigne le personnage principal d'une œuvre de fiction, quelles que soient les qualités dont il fait preuve. Si sa conduite ne correspond pas à un idéal (par exemple, s'il est lâche ou cupide), ce héros peut être qualifié d'antihéros.

Alors ? Alors je vais vous la dire moi la vérité, aucun cancéreux n’est un héros, aucun ne s’est levé un matin en se disant « tiens je vais faire un truc bien héroïque, un cancer par exemple ». Moi si on m’avait laissé le choix, j’aurais fait un truc de lâche, une écharde, une entorse, une gastro  même si ce n’est pas très glamour. Un héros s’engage, un cancéreux subit.

Ordinaire. Bon à nouveau définition.
adj. ordinaire (du lat. ordinarius, rangé par ordre, de ordo, ordinis, ordre)
1.  Qui est conforme à l'ordre des choses, à l'usage habituel: Une journée ordinaire.
2.  Qui ne dépasse pas le niveau commun: Un matériel de qualité ordinaire (standard; supérieur). Une personne très ordinaire (banal, quelconque;original).

Voilà, tout est dit non ? Ordinaire ça ? Il est conforme à l’usage habituel d’apprendre que l’on a une maladie potentiellement mortelle ?
Il est d’usage habituel de perdre ses cheveux, ses ongles, ses cils, ses sourcils, ses kilos en trop et ceux qui sont nécessaires, son sommeil, sa dignité, son énergie, ses possibilités d’histoires d’amour, sa pudeur, des parties de son corps, son insouciance, sa capacité de découvert bancaire, de crédit.
Il est banal d’inspirer de la pitié ( le pire pour une orgueilleuse), de la peur (ben oui c’est connu c’est contagieux) de la fascination morbide (comme pour ses accidents sur l’autoroute qui font ralentir les beaufs qui veulent vois si c’est grave.
On ne dépasse pas le niveau commun ? On passe des journées ordinaires ? C’est une journée habituelle que d’aller prendre une dose de chimio en métro, de rentrer en rampant, de se retrouver sur une table d’opération, de radiothérapie, ou sur une chaise de consultation à demander d’une petite voix qui voudrait ne pas trembler mais qui tremble quand même : « je vais mourir de ça ? ».

Je sais que je m’énerve un peu pour rien, vous savez que j’aime jouer avec les mots et que mes indignations parfois sont aussi énergiques que inutiles (j’aime tant mon panache à la Cyrano…) mais quand même ! Fallait oser la faire celle là non ? Les héros ordinaires !

Dernière chose, dans cette campagne, ils s’en sont tous sortis. Alors les toujours malades, les récidivistes, et ceux qui en meurent ? Pas héros ? Des ratés ? Hou trop la honte ! L’échec en plus ?

Moi quand je vois Monique ou Alain (je ne certifie pas l’exactitude des prénoms) qui raconte son truc, je lui réponds de se taire puisqu’il s’en est sorti. Je m’en fous moi de savoir que Monique va bien, ou que Alain a réalisé le projet dont il rêvait. On s’en fout des autres malades quand on est cancéreux on devient égoïste. C’est moche mais c’est comme ça. On en est presque à se rassurer de voir d’autres qui ont pire que nous, stade plus avancé, plaquettes en chute libre, tête de chauve moins jolie. Alors vous dire que quelqu’un qui me dit qu’il faut changer le regard sur les cancéreux…
Au crétin qui a trouvé cette phrase crétine, à l'Institut National du cancer j’ai envie de dire moi :

Je me fous du regard des autres, si vous avez de l’argent à dépenser, collez le dans la recherche, pour trouver des traitements, c’est tout ce dont nous avons besoin, c’est tout ce qu’on vous demande.
Après faites des émissions débiles ou des célébrités en mal de reconnaissance viennent mal chanter, mal transpirer sur des épreuves sportives, mal répondre à des questionnaires de culture générale ordinaire, mais avec les sommes dérisoires gagnées ( un détail mais un des produits qui m’a été injecté deux fois par mois pendant six mois, une perfusion coûte 1600 euros, à la sécu d'accord puisque j'ai cette chance d'être française), les deux comédiens qui ont fait Pékin Express en Inde m’ont donc offert 2 ou 3 perfusions, épatant non ?, avec les sommes gagnées donc :
 Devenez des héros extraordinaires, trouvez des traitements, et alors promis, je déroule une banderole à mes fenêtres avec votre portrait…

Hé ben ça fait du bien une belle petite indignation…..
Vous qui me connaissez, vous le voyez mon sourire là hein ?

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