mercredi 19 janvier 2011

J'ai dix ans....

Je travaille dans une clinique située en banlieue.
Je ne sais à vrai dire si c’est en banlieue ou en province puisque lorsque je ne peux m’y rendre en voiture, je prends un train ou un RER.

Je préfère le train, j’ai l’impression de partir en voyage, comme dans la chanson de Dutronc Hardy, alors que prendre le RER c’est tout de suite gris comme les cheveux des deux autres mais en moins poétique.
Je préfère le train parce qu’il est direct alors que le RER veut me faire apprendre par cœur un nombre incalculable de stations de banlieue que je m’évertue à oublier par crainte d’y aller vraiment un jour.

Pour perpétuer mon habitude qui doit être un peu agaçante parfois des apartés et préambules, un jour je vous expliquerai, aussi, en quoi il est souvent ridicule de posséder une voiture dans Paris.

En effet, porte de mon appartement à porte de la salle d’accouchements, le temps voiture, train est le même, rigoureusement.

A deux détails près, je dois garer la voiture n’étant pas l’heureuse propriétaire d’un parking privé dans ce quartier très fourni en restaurants, bars et autres endroits animés, et je ne dois pas rater la train du soir, au risque de patienter plus d’une heure pour le suivant.
Deux détails, se garer et heure du train.
Sauf que, un samedi soir de printemps tiède j’ai tourné une heure et demie au volant, insultant les voitures plus chanceuses que moi qui me volaient ma place, à la limite de la crise de démence, alors que jamais je ne me charge de garer le train.
Sauf que un mardi soir de neige, je suis restée plus d’une heure sur le quai de la gare, à attendre un train en me demandant si j’allais passer la nuit là bas, parce que les intempéries dit la voix blablabla après le fameux carillon de la SNCF qui n’annonce pas souvent des bonnes nouvelles.

Donc ?
Bref.

Hier, train.
Après une belle garde marquée par la pleine lune. Non ce n’est pas une légende, la lune influence le nombre de patientes, dans mes gardes en tous cas. Ou alors la lune c’est un peu moi. Une belle garde donc.

Train que je ne dois pas rater, alors je quitte la clinique, dans les temps d’après mon expérience et mes calculs (8 minutes), pour me rendre à la gare dans la nuit fraiche et humide. Il pleut dans cette petite rue pavillonnaire, je ne dois pas rater le train et je suis un peu fatiguée.
Je ne me cherche pas d’excuses, j’explique, j’anticipe.

J’aime bien cette petite rue, je regarde les jardins le matin quand il fait jour, et j’observe les salons illuminés le soir alors que les volets ne sont pas encore fermés.
J’ai ainsi une vue des soirées palpitantes des couples de moins de 60 ans de la petite rue, les retraités eux ont le temps de fermer les persiennes à la nuit tombée.
Ou alors quelqu’un les y oblige, un décret municipal peut être. Le même qui pousse les moins de 60 ans à équiper leur jardin de balançoires en plastique jaune moche, à oublier de tailler correctement leurs hortensias et à regarder la télévision en couple sur le canapé en cuir marron.
Là n’est pas le débat.

J’ai donc les yeux ailleurs et les pieds sur le trottoir. Or le trottoir de la petite rue pavillonnaire qui mène à la gare n’est pas du genre linéaire. Des creux, des sorties de garage, un cantonnier négligeant, une étourdie fatiguée, résultat… La chute !
La vraie chute.
En une seconde je me retrouve par terre, dans une position si ridicule que je ne vous la décrirai pas, ce genre de position qui vous fait vous réjouir d’être dans une rue déserte.

Je récupère en vrac, mon sac, mon téléphone portable, mon rouge à lèvres Dior que je l’aime trop pour le laisser dans le caniveau, pas la clémentine elle a roulé trop loin, ma dignité et mon quand à moi, mes clefs et la station debout.
Durée de l’incident moins de deux minutes, je n’ai pas raté le train.

C’est dans le train que je ressens un picotement et songe à regarder mon genou gauche.

J’ai déchiré mon Jeans ! Fort heureusement pas le Jeans du moment, le chouchou de la saison, le Jeans qui fait les jambes trop longues, les fesses trop belles, le Jeans quoi vous voyez les filles.
Non, le Jeans qui est bien, celui qu’on porte de façon basique, quand on quitte son appartement à 7h30, sans vouloir faire d’effets mais en voulant rester présentable.
Déchiré mon Jeans, comme mes fils lorsqu’ils avaient dix ans et qu’un pantalon ne résistait pas plus d’une semaine aux cours de récréation.
Le picotement ? Intriguée, je vérifie mon genou.
La SNCF met à ma disposition  une rame entière à deux étages, pour que je puisse vérifier mes genoux en toute pudeur. Nous sommes si nombreux à faire ce trajet…
Je voyage toujours seule.
Ce n’est pas un slim, la saison est passée, n’imaginez pas que je baisse mon pantalon en plus dans les trains, non, je remonte la jambe du côté concerné.
J’ai un genou écorché ! C’est ça qui pique, ça saigne même un peu.

J’ai dix ans, tout à coup, j’ai dix ans.

Je ne me plains pas de mon pantalon déchiré, je ne ressens pas ce picotement lié à l’écorchure, je me réjouis. Et oui, à moi le plaisir de la croute à arracher…

En arrivant chez moi, je ressors mon stock de Mercurochrome, le rouge anti bobos que les enfants aiment tant, je me badigeonne, souffle dessus, presque je me ferai un bisou magique. Et depuis, j’attends la croute.

Cherchez dans vos dix ans, le plaisir que nous avions à guetter le bon moment d’arrachage de la fameuse croute. Vous souvenez vous de ça ?
La fierté d’exhiber la blessure, entretenue avec le fameux Mercurochrome, le genou de guerrière de cascadeuse, la possibilité de boitiller un peu de temps à autre, en attendant le moment du départ de la croute et la jolie peau neuve qui vient dessous.

Alors j’ai eu un sourire tout au long du trajet.

J’ai cherché dans mes souvenirs de petite fille de 10 ans, ce que je pouvais aisément reproduire sans inquiéter plus encore mon entourage.

Les plaisirs et autres petits bonheurs de notre enfance…

Il y en a que je pratique encore.

Un petit garçon de 4 ans, fils d’une amie,  ne m’a pas nommée fée des bulles alors que je lui donnais son bain, sans raison. Je suis la fée de bulles parce que depuis des années, lorsque je prends un bain, je fais des bulles de savon. Je peux vous donner un secret, le meilleur produit pour faire de très grosses bulles, c’est le « petit marseillais » quelque soit le parfum.

Les grimaces à d’autres enfants. Puisque j’ai dix ans, je n’hésite jamais à tirer la langue ou à faire ma pire grimace à un marmot, plus petit que moi, dès que sa mère tourne le dos. Si elle opère un brusque retournement alertée par le marmot fayot, je reprends illico mon attitude de femme responsable.

Délicatement séparer les deux côtés d’un choco BN, au chocolat, en les tournant, ne surtout pas tirer dessus, tourner et récupérer le côté qui a le plus de garniture. A 10 ans on racle tout bien avec le doigt et on laisse tomber le biscuit sans intérêt.

Se consoler d’un chagrin avec son doudou. L’objet sans forme, sans couleur, mais chargé d’odeurs et de taches indélébiles qui a survécu à tout. Déménagements, adolescence, mariage, tri printanier, vide grenier, dans le désordre, bien sur. Le serrer contre soi en lui disant, toi au moins tu me comprends, et le croire. Tout lui raconter, se moucher un peu dedans, au point où il en est, se sentir mieux dans ses 10 ans.

Compter combien il faut de fraises Tagada pour avoir vraiment la langue rouge, mesurer la longueur d’un rouleau de réglisse, vérifier que la fabrication respecte la norme sur plusieurs rouleaux, connaître le nombre de Chamalows qui tiennent dans la bouche et avec lequel on peut parler tout de même. A 10 ans on a toujours plein de bonbecs.

Dessiner une marelle sur un parking, un sourire sur un miroir d’ascenseur (sacrifier alors son rouge à lèvres chéri qui a résisté à la chute), abaisser son parapluie et se pendre une pluie dégoulinante sur le visage bien levé vers le ciel (mascara waterproof conseillé)  chanter à tue tête et très faux dans un endroit public (demande un peu de courage), et sauter à cloche pied sur les rayures du passage piétons (si c’est rue de Rivoli un vendredi à 18 heures vous avez ma totale admiration), à 10 ans on ose tout.



Des trucs de gamine, des plaisirs décomplexés, des petites joies égoïstes, un philtre enfantin sur un quotidien adulte, ça s’entretient tout ça non ?

Moi ça va, j’ai mon genou qui croute, et vous ?

C’est quoi vos trucs de gamins ?
On partage, allez tu m’en files ? Hein ? Sinon j’te cause plus, t’es plus ma copine….t’es plus mon copain….

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